136 pays signataires représentant 90% du PIB mondial ont signé cet accord de l’OCDE, le 8 octobre dernier.  (Photo: Shutterstock)

136 pays signataires représentant 90% du PIB mondial ont signé cet accord de l’OCDE, le 8 octobre dernier.  (Photo: Shutterstock)

L’OCDE a signé, voici quelques jours, un accord historique sur la fiscalité des multinationales, au seuil minimal de 15% pour éviter le dumping sous certaines conditions. La plupart des 136 signataires vont ainsi pouvoir se partager quelque 129 milliards d’euros d’impôts d’ici 2023. 

C’est un pas de plus vers l’économie mondialisée et la lutte contre le dumping fiscal. Après de longues négociations, l’accord qui fixe le cadre de la réforme sur la fiscalité internationale des très grandes entreprises, présenté le 1er juillet dernier, a été signé par 136 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont les États-Unis, la Chine et l’Inde, le 8 octobre.

L’Irlande, dont le taux fiscal à 12,5% était l’un des plus bas d’Europe a finalement rallié les signataires in extremis. Seuls le Kenya, le Nigeria, le Pakistan et le Sri Lanka ont refusé de signer. Pour les pays hébergeant les activités ou filiales de très grosses entreprises dont font partie les Gafa (notamment les États-Unis), les recettes fiscales pourraient s’élever à environ 129 milliards d’euros par an grâce à cet accord. Selon l’un des piliers d’éligibilité évoqués par les négociateurs, l’accord OCDE impose un montant minimum de 15% d’impôts aux multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros, pour éviter les fraudes ou les situations dites de «paradis fiscaux».

Parfois, le Luxembourg est attaqué comme un pays à fiscalité basse, mais en soutenant cet accord, nous affichons clairement que ce n’est pas le cas.
Gerard Cops

Gerard Copstax services leader et membre de la Luxembourg Country Leadership TeamPwC Luxembourg

Le Luxembourg fait aussi partie des signataires. , tax services leader chez PwC Luxembourg, veut y voir une forme de solidarité du Grand Duché avec les autres pays, qui l’éloignerait de toute stigmatisation: «Nous soutenons cette règle anti-abus parce qu’il est remarquable que tous les pays signent un accord fiscal mondial, avec un champ d’application cross-territoires, et que nous sommes tous à égalité. Parfois, le Luxembourg est attaqué comme un pays à fiscalité basse, mais en soutenant cet accord, nous affichons clairement que ce n’est pas le cas.»

Un risque de perte d’attractivité

Actuellement, chaque société implantée au Luxembourg est soumise au droit fiscal grand-ducal. L’impôt sur les sociétés et la taxe communale situent le montant de l’impôt autour de 24% – un taux supérieur à celui des 15% minimum de l’accord. On peut dès lors se poser la question du risque de délocalisation des sièges sociaux vers des pays où le taux est inférieur. , tax leader chez EY, n’y croit pas: «Le risque existe, mais est-il réaliste? C’est plus compliqué que ça. Certaines sociétés qui sont aujourd’hui ici vont faire leur calcul d’impact. La plupart ont déjà commencé à dérisquer leur structure depuis des années, car cet accord a été anticipé par nombre d’entre elles. Le risque de délocalisation me semble relativement limité. Cependant le risque de perte d’attractivité est réel et pourrait être défavorable pour les nouvelles entreprises.»

Des recettes limitées pour l’État luxembourgeois

L’autre pilier de l’accord prévoit une redistribution d’une partie des surprofits (si supérieurs à 10% du chiffre d’affaires, seulement pour les groupes affichant plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel) en faveur des pays de marchés. Il s’agit des États où les multinationales ont des clients sans y avoir d’implantation physique, et donc sans y être imposées. Ce qui peut être le cas du Luxembourg. Peut-il, dans ce cas, y glaner quelques recettes fiscales, comme la France qui devrait récupérer quatre à cinq milliards d’euros par ce biais?

Gerard Cops nuance: «C’est difficile à estimer. Au Luxembourg, l’impact de ce pilier sur les recettes de l’État sera limité, car c’est un petit marché. Les groupes concernés sont principalement des groupes américains. Les autres groupes ont une présence limitée au Luxembourg, comme marché local. Bien sûr, quelques-uns sont actifs au Luxembourg. Amazon peut entrer dans les critères de ce pilier taxant les surprofits, mais encore faut-il que son bénéfice avant impôts dépasse les 10% de son chiffre d’affaires? ArcelorMittal y échappe, car sa marge reste inférieure.» Inutile donc d’espérer éponger, avec ce nouvel accord, les dettes fiscales accumulées après deux années de crise sanitaire. La France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont un marché local plus important, beaucoup de ces acteurs y sont présents, et vont y gagner. L’Irlande, par contre, va y perdre, car sa fiscalité devient moins avantageuse en passant de 12,5 à 15%. Bart Van Droogenbroek ajoute: «À ma connaissance, il n’y a pas encore eu d’étude publique sur les coûts/bénéfices possibles de cet accord au Luxembourg».

La réputation: un rempart contre la fraude fiscale

Les tax leaders sont ici unanimes: tout le monde veut rester dans la légalité, car le risque réputationnel en cas de pénalités serait trop grand. «Or, le Luxembourg est très regardant sur ce type de risque, comme peuvent l’être ces grands groupes», avertit Gerard Cops de PwC. Les règles sont définies au niveau international par des experts, et ceux qui voudraient les transgresser s’exposent à un scandale médiatique qui pourrait leur coûter bien plus qu’un redressement fiscal. Les contrôles fiscaux se renforcent déjà depuis plusieurs années partout dans le monde. Il existe également des conventions sur la double imposition des filiales et sociétés mères à l’étranger. Enfin, les sociétés sont soumises à la fiscalité européenne régie par les directives ATAD1 et ATAD2 actuellement en vigueur.

«Je suis persuadé que l’OCDE va créer une mise à jour pour s’assurer que toute tentative de contournement soit identifiée et adressée», ajoute le tax leader de PwC.

L’Europe veut aller bien au-delà de cet accord notamment avec la directive ATAD3.
Bart Van Droogenbroek

Bart Van Droogenbroekpartner, tax leaderEY Luxembourg

La plus grande difficulté se situe davantage au niveau de l’application de ces règles, qui doivent entrer en vigueur en 2023. «Tout est à faire, et cela va être très complexe pour les administrations fiscales qui vont devoir créer de nouveaux formulaires en 14 mois.» Bart Van Droogenbroek chez EY, va encore plus loin: «L’OCDE est un accord entre pays. Maintenant, il va falloir traduire tout cela dans des lois. Tout devient plus transparent dorénavant. L’Europe veut aller bien au-delà de cet accord, notamment avec la directive ATAD3, qui vise les sociétés de type boîtes aux lettres. Elle veut créer une directive sur la publication du taux effectif d’imposition, instaurer de nouvelles règles sur l’imposition européenne des multinationales et créer un nouvel environnement où le financement par dette sera défavorisé par rapport au financement par fonds propres. Le risque de dommages réputationnels va donc encore augmenter.»


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Le choix pour une entreprise est vite fait: si elle veut éviter d’être taxée sous le régime des multinationales, elle a tout intérêt à ne pas dépasser les 749,9 millions d’euros de chiffre d’affaires coûte que coûte, tout comme certaines banques préfèrent rester non systémiques. Bart Van Droogenbroek conclut avec un avertissement: «Ce qui est clair, c’est que l’OCDE ne vise pas les entreprises régulées, mais pour la Commission européenne, qui va appliquer cet accord de manière opérationnelle, ce n’est pas toujours aussi clair.» De nouvelles restrictions et outils de contrôles sont donc attendus d’ici 2023.