Près de 100% des frontaliers de Genève sont français et peuvent bénéficier de l’avantageux statut de «quasi-résident», qui disparaîtra dès qu’ils passeront plus de 10% du temps chez eux. (Photo: Shutterstock)

Près de 100% des frontaliers de Genève sont français et peuvent bénéficier de l’avantageux statut de «quasi-résident», qui disparaîtra dès qu’ils passeront plus de 10% du temps chez eux. (Photo: Shutterstock)

La France et la Suisse ont annoncé, fin décembre, un accord de principe qui permet le télétravail des frontaliers français jusqu’à 40% de leur temps de travail hebdomadaire jusqu’à fin juin 2023. Deux jours par semaine dont il faudra négocier le prix…

(Article mis à jour le vendredi 6 janvier à 8h45 avec la réponse du ministère français de l’Économie et des Finances, puis le lundi 9 janvier à 16h50 avec la réponse du ministère suisse des Finances.)

Ils étaient tous plus pressés les uns que les autres d’annoncer que la France et la Suisse allaient trouver – puis avaient trouvé – un accord permettant aux frontaliers français qui travaillent en Suisse de passer jusqu’à 40% de leur temps de travail en télétravail, sans que leur situation personnelle change. Soit deux jours par semaine.

Quinze jours plus tard, aucun des sénateurs ou des députés français, pas plus que le groupement transfrontalier ni les autorités françaises ou suisses – probablement en raison des fêtes de fin d’année –, n’a répondu à nos questions.

Pourquoi? Parce qu’au-delà de l’accord de principe, il va falloir négocier âprement ses conditions. Et c’est là que cela se complique. En témoigne d’ailleurs la laconique réponse, ce vendredi, du ministère français de l’Économie et Finances. «Nous ne communiquons pas sur ces données», à propos de l’évolution des rétrocessions et des négociations entre les deux pays.

Aux employeurs de «monitorer» la limite de 40%

L’accord prévoit un statu quo jusqu’à 40% du temps de travail en télétravail, à charge pour les employeurs de réorganiser leur relation de travail avec leurs employés pour que les autorités fiscales puissent vérifier qu’ils n’ont pas dépassé 40%. Une calamité pour les employeurs, n’ont-ils pas tardé à reconnaître, non seulement parce qu’il faudrait peut-être prévoir un avenant aux contrats de travail, mais aussi parce que la comptabilité va être compliquée.

À partir de 40%, les frontaliers français se verront dans l’obligation de payer leurs impôts en France. Selon l’OCDE et seulement à titre d’exemple, cela fait 5 points d’impôt en plus pour un célibataire sans enfant, plus de 9 points pour un couple à deux salaires et deux enfants et même près de 12 points pour un couple à un salaire et deux enfants.


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Enfin… presque. Parce que si 193.048 frontaliers français (chiffre de 2021) travaillent en Suisse, 96.724 paient déjà l’impôt sur le revenu en France – selon l’accord franco-suisse du 11 avril 1983 – parce qu’ils travaillent dans un des huit cantons suisses qui ne pratiquent pas la retenue à la source (Berne, Soleuvre, Bâle-ville, Bâle-campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura). Autrement dit, pour eux, cela ne changerait rien.

Les frontaliers de Genève ont beaucoup à perdre

Pour les 96.324 employés qui travaillent à Genève (soit quasiment 100% des frontaliers qui travaillent dans ce canton), en revanche, c’est plus problématique. Non seulement parce que le canton de Genève taxe moins que la moyenne des cantons, selon le Tax Monitor de Credit Suisse, mais aussi parce que les contribuables français ne pourront plus prétendre au statut de «quasi-résident».

Ce statut permet, pour autant que le ménage gagne au moins 90% de ses revenus imposables en Suisse, de bénéficier de déductions  (ICC) et (IFD). Ces déductions vont des frais kilométriques aux frais de garde d’un enfant, en passant par les frais médicaux, les repas, l’assurance maladie, les produits d’épargne à long terme, etc.

Le beau geste franco-suisse, déjà compliqué à mettre en œuvre, place donc les frontaliers qui travaillent à Genève dans une sorte d’incertitude qui pourrait leur coûter cher… mais cela ne s’arrête pas là.

Non adaptée, l’autre rétrocession fait grincer des dents

Si l’on a coutume de parler de la «rétrocession fiscale» suisse à la France, ceux qui défendent le même geste du Luxembourg vers les communes frontalières de Moselle et de Meurthe-et-Moselle oublient toujours que la situation franco-suisse est légèrement différente: il y a en réalité deux rétrocessions fiscales. 

Pour les salariés travaillant à Genève, en ce mois de décembre, la Suisse semble avoir accepté de payer davantage que les 3,5% du total des salaires bruts qu’elle paie aux collectivités des départements de l’Ain et de la Haute-Savoie depuis 1966. «En contrepartie du maintien du droit d’imposer les revenus d’activité salariée dans l’État de l’employeur, une compensation adéquate est prévue en faveur de l’État de résidence de l’employé», indique le texte de l’accord provisoire.

Mais concernant les salariés des huit cantons de 1983, il n’y aura pas de changement. La France continuera de payer 4,5% des rémunérations brutes des frontaliers à ces cantons. Ces derniers devront ensuite répartir le montant au prorata des frontaliers qui travaillent dans chaque canton et dans chaque commune.

En 2022, le montant du retour d’argent de Genève vers la France était de 322 millions d’euros, un nouveau record lié à l’évolution du nombre de frontaliers français. Contre 350 millions d’euros dans l’autre sens, selon le ministère suisse des Finances.

L’UE attendue sur la sécurité sociale

Ces montants ne satisfont personne. À chaque élection, aussi bien du côté suisse que du côté français, des candidats de tous bords insistent pour que ces montants… augmentent singulièrement. Certains élus suisses ont même souhaité que les 4,5% soient doublés à 9%. Sans aucun état d’âme pour le bien-être des frontaliers qui, depuis la pandémie, semble ne se mesurer qu’à l’aune des jours où ils peuvent travailler depuis chez eux…

Quant au volet de la sécurité sociale, qui modifie les règles d’affiliation au-delà de 25% du temps de travail dans son pays de résidence, il est sur un bureau à Bruxelles.