Au fil des dix dernières années, l’investissement alternatif a connu une croissance fulgurante, dont a pleinement profité la place financière. «Le Luxembourg s’est très tôt positionné comme un hub majeur pour le monde de l’investissement alternatif», confirme Diana Senanayake, membre du conseil d’administration de la Luxembourg Alternative Administrators Association (L3A), dont la mission est de représenter les structures actives dans ce domaine et d’accompagner le développement des activités liées à cette classe d’actifs. «En cinq ans, au niveau global, les volumes investis dans des actifs alternatifs ont fortement progressé, passant de 8,8 trillions de dollars (8.800 milliards) de dollars en 2017 à 12,8 trillions de dollars en 2023.»
Levier de diversification et de performance
L’attrait de l’investissement alternatif, segment qui rassemble les fonds de private equity, immobiliers ou encore de dette privée, ne fait que progresser. Selon les estimations, le marché mondial des fonds d’investissement alternatifs devrait atteindre 30 trillions de dollars d’ici 2030, avec un taux de croissance annuel composé de 7,9% entre 2024 et 2032. C’est aujourd’hui cette classe d’actifs qui soutient le développement de l’industrie des fonds luxembourgeois.
«Plusieurs éléments permettent d’expliquer l’attrait pour les investissements alternatifs. C’est avant tout un levier de diversification important pour les investisseurs. Au-delà des actifs traditionnels que sont les actions et les obligations cotées, ces actifs contribuent à renforcer la résilience des portefeuilles dans une dynamique de long terme», poursuit Diana Senanayake. «En outre, le monde de l’alternatif offre des perspectives de rendement attrayantes. Quand les actifs traditionnels offrent entre 2 et 5% de rendement, la performance moyenne des alternatifs s’établit autour de 13%, avec des variations de 10 à 30% selon les classes d’actifs.»
Changement d’échelle
Ces dix dernières années, ce sont avant tout les investisseurs institutionnels — assureurs, fonds de pension ou fonds souverains — qui ont contribué au développement du segment alternatif. La nature même des investissements, risqués et peu liquides, implique une compréhension fine des produits.
«Aujourd’hui, la part de l’alternatif dans les portefeuilles des acteurs institutionnels peut avoisiner 30%, alors qu’elle n’était encore que de 10% il y a une vingtaine d’années. Nous ne travaillons plus sur les mêmes échelles. Les acteurs de ce segment se sont considérablement professionnalisés. La réglementation encadrant l’activité s’est renforcée, avec notamment l’intégration des critères de durabilité», ajoute encore Diana Senanayake.
Le défi de la démocratisation
Aujourd’hui, si l’attrait pour l’alternatif ne se dément pas, les institutionnels ont achevé leurs efforts de diversification et gèrent désormais des portefeuilles équilibrés. Les besoins en capitaux du marché, cependant, demeurent importants, notamment pour financer la transition durable ou soutenir le développement de nouveaux acteurs. Les gestionnaires doivent donc trouver de nouveaux relais pour lever des fonds. «Cela se traduit désormais par une démocratisation de l’investissement alternatif, une ouverture des gestionnaires à un spectre plus large d’investisseurs, en commençant par les familles fortunées, pour progressivement aller vers les particuliers», poursuit la membre du conseil d’administration de L3A.
L’association luxembourgeoise est particulièrement attentive à cette transformation, qui représente un défi majeur pour les acteurs de l’industrie. «Les autorités ont ouvert la voie à cette démocratisation, notamment avec l’adoption de la nouvelle mouture de l’Eltif, les fonds européens d’investissement à long terme. À travers eux, la volonté est de capter l’épargne des Européens, dans une perspective de prévoyance retraite notamment, afin de répondre plus efficacement aux besoins de financement de l’économie», explique Diana Senanayake.
S’adapter aux nouvelles attentes
Pour les acteurs du secteur — gestionnaires, banques, administrateurs, distributeurs, conseils juridiques — que représente L3A, cette évolution exige des adaptations conséquentes. «L’un des défis réside dans le renforcement des connaissances, afin de pouvoir garantir une transparence accrue en lien avec les produits et leur valorisation. Il est essentiel de pouvoir expliquer les logiques inhérentes à l’investissement alternatif de manière simple», poursuit la Managing Director d’IQ-EQ Luxembourg. «Les divers acteurs de l’écosystème, qui accompagnent les véhicules traditionnels, comme les fonds alternatifs, mais aussi les banques appelées à distribuer ces produits, doivent aussi développer de nouvelles expertises.» Les gestionnaires doivent également s’adapter, notamment pour proposer des produits plus alignés avec les attentes du marché, à l’instar des fonds evergreen ou semi-liquides, facilitant l’entrée et la sortie des investisseurs.
Accompagner les gestionnaires
Pour Diana Senanayake, la démocratisation de l’investissement alternatif prendra du temps. «Il faudra encore quelques années pour voir cette transformation s’opérer. Le Luxembourg, cependant, est bien positionné pour saisir les opportunités liées à la croissance de cette classe d’actifs», assure la responsable. «La place financière l’a d’ailleurs démontré au fil des dix dernières années, avec la mise en œuvre d’un cadre réglementaire favorable au développement de l’activité. L’écosystème en place, avec une diversité d’acteurs complémentaires — AIFM, administrateurs, conseillers juridiques, distributeurs — est unique et remarquable. Le défi est de maintenir notre positionnement, pour continuer à attirer les gestionnaires localement. Il est essentiel que le Luxembourg demeure la place où il est le plus aisé d’établir un véhicule alternatif.»
Attirer les talents et investir dans la technologie
Dans cette perspective, le plus grand défi reste d’attirer les talents: faire venir et développer à Luxembourg les profils nécessaires à la gestion des fonds alternatifs. «Les divers segments du monde de l’alternatif exigent des expertises spécifiques, en lien avec la nature des actifs, mais aussi des compétences juridiques avancées pour accompagner les transactions», explique Diana Senanayake. «L’autre grand défi est technologique. Pour soutenir la croissance du secteur, il est essentiel de standardiser et d’automatiser de nombreux processus qui, aujourd’hui encore, sont réalisés manuellement.» Si elle veut préserver sa position de hub privilégié dans le monde de l’alternatif, la place financière doit continuer à investir dans les talents et dans la transformation digitale.