Transparence ou vie privée? Tel était, dans les grandes lignes, le dilemme devant lequel se trouvait la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) face au Registre des bénéficiaires effectifs (RBE). Elle vient de trancher, en faveur de l’intimité.
Pour rappel, la plateforme du RBE mise en place le 1er mars 2019 résulte de la transposition d’une directive européenne visant à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle oblige les entités inscrites au registre du commerce et des sociétés à identifier et rendre publics leurs bénéficiaires. Tout le monde y a accès, anonymement.
Une «ingérence dans les droits fondamentaux»
Ces informations peuvent être rendues confidentielles «lorsqu’on estime qu’il y a un risque disproportionné à la publication des bénéficiaires par rapport au risque de fraude», expliquait Yves Gonner, directeur du Luxembourg Business Registers (LBR), qui gère le RBE, . En février 2022, sur les 2.049 demandes d’exemption reçues depuis le lancement du registre, pour 3.915 bénéficiaires effectifs, seulement 40% avaient été acceptées.
D’où la gronde de certains bénéficiaires, qui ne trouvaient pas normal que leurs informations soient ainsi accessibles.
Ils ont eu gain de cause puisque la CJUE a jugé, ce mardi 22 novembre, «invalide» la «disposition prévoyant que les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés constituées sur le territoire des États membres soient accessibles dans tous les cas à tout membre du grand public» prévue par la directive européenne. «L’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs constitue une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel», détaille-t-elle. Ingérence qui n’est «ni limitée au strict nécessaire ni proportionnée à l’objectif poursuivi».
Une décision à prendre en compte dans le droit national
Alors, que va devenir le RBE? Ce sera au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, à l’origine de questions préjudicielles à la CJUE après avoir été saisi de deux recours introduits, de «résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour» européenne.
«L’arrêt invalide en partie la directive anti-blanchiment que nous avons transposée en droit luxembourgeois. Dès lors, il nous faudra analyser en détail les conséquences que cet arrêt emporte au niveau du droit européen en la matière et ses effets en droit national. Bien évidemment, le Luxembourg se conformera à la jurisprudence européenne», commente le ministère de la Justice. Sans donner de détails sur quand ou comment. Le LBR n’a pas pu fournir davantage d’informations sur l’avenir du RBE.
Puisque c’est une disposition de la directive européenne qui est considérée comme invalide, la Commission devrait elle-même la revoir. Contactée, elle affirme être «en train d’analyser l’arrêt».
Précision: le ministère de la Justice indique ce mardi après-midi avoir pris acte de l’arrêt de la CJUE en suspendant provisoirement l’accès en consultation au site du RBE.