Le coût direct de l’absentéisme au travail est, pour la première fois, estimé au-delà du milliard d’euros par l’IGSS. (Photo: Shutterstock)

Le coût direct de l’absentéisme au travail est, pour la première fois, estimé au-delà du milliard d’euros par l’IGSS. (Photo: Shutterstock)

Appelant notamment à frapper au portefeuille les collaborateurs les moins assidus, la Fedil formule quatre recommandations musclées afin de lutter contre l’absentéisme au travail. «Une provocation», s’agace la Chambre des salariés.

Le contexte

L’absentéisme au travail? «Un phénomène préjudiciable à l’économie et à la qualité du climat social, qu’il convient de combattre efficacement», avait déclaré la présidente de la Fedil, , lors du discours accompagnant la présentation de ses vœux, fin janvier à Luxexpo The Box.

Ce soir-là, à la tribune comme dans la salle, chacun avait, présents à l’esprit, les chiffres spectaculaires révélés par un rapport de l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS), rendu public trois mois auparavant. Axé sur l’année 2022, le document d’une petite trentaine de pages pointait une hausse de 0,8 point sur 12 mois du taux d’absentéisme, passé de 4,4 à 5,2%. Un niveau historiquement haut. Dix ans en arrière, il plafonnait à 3,7%.

Autre chiffre notable: le coût direct de l’absentéisme. Dans son rapport, l’IGSS l’évalue pour la première fois au-delà du milliard d’euros (1,034 milliard, pour être précis), contre 900,8 millions d’euros en 2020. Sur la période, la charge de la Caisse nationale de santé (CNS) a reculé, notait l’IGSS. En revanche, celle réservée aux employeurs a progressé. Au Luxembourg, ces derniers sont tenus de prendre en charge le salaire d’un collaborateur en incapacité de travail durant les 13 premières semaines de son arrêt. Passé ce délai, la CNS prend le relais.

Mais si ce milliard d’euros constitue un «record choquant» aux yeux de la Fedil, il serait en plus éloigné des réalités. «Le coût réel des absences est beaucoup plus élevé», écrit ainsi le conseiller aux affaires juridiques et sociales, Philippe Heck, dans une publication de la fédération accessible en ligne, mais restée plutôt discrète jusqu’ici. Pour la Fedil, en effet, les conclusions comptables de l’IGSS n’intègrent ni les heures supplémentaires des salariés appelés à compenser la défection d’un collègue, ni le recours à des intérimaires, ni les indemnités versées aux clients en cas de commande retardée, voire annulée, à cause de problèmes d’effectif.

L’assiduité du salarié est un préalable à la qualité de son travail.
Michèle Detaille

Michèle DetailleprésidenteFedil

Partant de ce constat, la présidente Michèle Detaille s’était adressée à distance aux salariés, durant ses vœux. Rappelant ce qui relève, selon elle, de fondamentaux: «Une attitude saine et positive au travail n’est pas un cadeau à l’employeur, c’est juste le respect du contrat de travail. (…) L’assiduité du salarié est un préalable à la qualité de son travail. La présence sur le lieu de travail constitue non seulement le respect minimum du contrat signé, mais témoigne également d’un respect à l’égard des collègues.»

Comme en écho, Philippe Heck va plus loin dans son propos: «Plusieurs entreprises nous rapportent que certains salariés – plutôt ceux travaillant à temps partiel – seraient régulièrement et avec une périodicité définie en incapacité de travail afin de minimiser les coûts liés au déplacement.»

Même s’ils ne sont pas nommément désignés, les frontaliers apparaissent clairement dans le collimateur de la Fedil. Les concernant, l’IGSS signale un taux d’absentéisme supérieur à celui des résidents (5,6% contre 4,8%, en 2022). Dans le détail, ce taux atteint 6,3% pour les femmes en 2022 (contre 5,3% un an plus tôt) et 5,2% pour les hommes (contre 4,5%).

Les propositions

Ce dossier épineux, «c’est l’affaire de tous: des entreprises, des salariés, du gouvernement», avait encore lancé Michèle Detaille lors de ses vœux, écoutés par le Premier ministre, (CSV), installé au premier rang aux côtés de plusieurs poids lourds de son équipe. Tout en reconnaissant que «les remèdes à l’absentéisme abusif sont limités», la Fedil apporte son écot au débat en tout cas. Par la voix de Philippe Heck, elle formule même quatre recommandations très concrètes.

Proposition n°1: un jour de carence. La Fedil se déclare «ouverte à la discussion sur l’introduction éventuelle d’un jour de carence». Autrement dit: l’indemnité versée au salarié dès son premier jour d’absence serait supprimée.

Une mesure, pense la Fedil, qui «permettrait notamment de lutter contre les absences répétées et abusives d’un jour de travail causant généralement le plus de désorganisation dans les entreprises». Autrement dit (bis): frapper au portefeuille pour tenter d’en finir avec les arrêts de très courte durée, assimilables à des arrêts «de confort».

En 2022, la durée moyenne d’une absence s’élevait à huit jours. Les données de l’IGSS ne permettent toutefois pas de chiffrer avec exactitude le poids des seules absences de 24 heures.

Proposition n°2: les contre-examens médicaux. La Fedil milite en faveur d’une législation sur ces contre-examens, afin «d’éclaircir les règles établies au fil des années par la jurisprudence et d’avoir un cadre juridique certain pour les employeurs». Pour rappel, au moins deux médecins doivent conclure à l’absence de justification d’une incapacité de travail avant que l’employeur puisse se retourner contre le salarié incriminé.

Au passage, la Fedil déplore que «beaucoup de médecins sont réticents à pratiquer de tels contre-examens médicaux afin d’éviter tout risque de contradiction entre professionnels».

La Fedil est ouverte à la discussion sur l’introduction éventuelle d’un jour de carence.
Philippe Heck

Philippe Heckconseiller affaires juridiques et socialesFedil

Proposition n°3: les contrôles administratifs. Le service de la CNS en charge de contrôler à leur domicile les salariés en arrêt de travail est jugé par la Fedil «peu réactif et inefficace». Philippe Heck explique par exemple qu’un employeur saisissant la CNS via un formulaire en ligne permettant de diligenter une visite chez un de ses collaborateurs «ne reçoit de réponse qu’après le retour au travail [de celui-ci] ou pas de réponse du tout».

In fine, la Fedil réclame «plus de moyens et de pouvoirs» pour ce service.

Proposition n°4: le gel des primes. Le portefeuille, à nouveau. Mais cette fois pour transformer des primes existantes en «primes de présence», «afin de récompenser les salariés n’étant quasiment jamais en incapacité de travail durant une période de référence définie». Et, mécaniquement, de sanctionner les moins assidus.

«Certaines conventions collectives internes ou sectorielles prévoient déjà à l’heure actuelle des primes dont le montant est réduit en fonction des jours d’absence. La prime est complètement supprimée lorsqu’un certain seuil est dépassé», illustre le conseiller affaires juridiques et sociales, Philippe Heck.

L’opposition

Il va sans dire que pareille prise de position pouvait difficilement passer inaperçue dans les rangs de la Chambre des salariés (CSL). «Ce n’est pas amusant de mettre encore une fois en avant les maladies des salariés», réagit la présidente, . «N’oublions pas que nous sortons d’une pandémie, il n’y a donc rien d’anormal à ce que le nombre d’arrêts ait augmenté ces dernières années. Par ailleurs, on pourrait aussi parler du présentéisme. Dans notre Quality of Work Index, on s’intéresse à ces salariés qui se rendent au travail alors qu’ils sont malades, par peur des représailles. Pour le salarié comme pour l’entreprise, c’est contre-productif à moyen et à long terme.»

«D’une manière générale, on voit que depuis 10 ans », reprend Nora Back. En début de mois, la CSL avait indiqué que la proportion de personnes souhaitant changer d’employeur était passée de 19% en 2020 à 27% l’an dernier. «Ces phénomènes montrent que les gens vont de plus en plus mal, et que cela s’exprime aussi par des maladies psychiques, comme la dépression ou le burn-out.»

Les salariés déjà malades seraient doublement sanctionnés.
Nora Back

Nora BackprésidenteCSL

Partant, la patronne de la CSL considère telle «une vraie provocation» la proposition de la Fedil de réfléchir à l’instauration d’un jour de carence, dont elle souligne qu’elle avait été portée par l’UEL lors de la dernière tripartite mais que «le gouvernement avait été de notre côté». «Avec cette mesure, on risquerait de provoquer plus de maladies. Cela amènerait les personnes pouvant se le permettre financièrement à rester en arrêt, alors que les gens en bas de la grille de salaire ou avec des salaires moyens devraient aller travailler.»

«Inadmissible», également, la proposition du gel des primes en cas d’absences répétées. «Les salariés déjà malades seraient doublement sanctionnés», estime Nora Back, pour qui cette mesure n’a pas démontré son efficacité dans le secteur de la construction qui par convention sectorielle l’a adoptée.

Quant aux contrôles médicaux, la présidente de la CSL y voit un problème «de déontologie et d’éthique», à travers une mise en concurrence de médecins, «alors que nous avons déjà une pénurie». «Le contrôle médical fonctionne», conclut-elle.