En début de semaine, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, (déi Gréng) et le ministre du Logement, (déi Gréng) ont présenté conjointement au Kirchberg, à Luxembourg. Leur annonce a tourné autour du nombre de logements et de leur abordabilité: 250 nouvelles unités dont certaines vendues à 6.000€ le mètre carré, la majorité (60%) étant mises en location.
Ces logements abordables sont réalisés par la SNHBM sur les terrains du Fonds Kirchberg (FUAK). D’autres biens seront réalisés par ce dernier et destinés à la vente libre. Le ministère du Logement contribuera à hauteur de 35 millions d’euros à travers son Fonds spécial de soutien au développement du logement pour le financement des logements abordables et des infrastructures.
Une belle annonce pour le marché du logement, certes, ce dont le Luxembourg a grandement besoin pour combler son déficit en logements abordables, et à Luxembourg-ville qui plus est. Mais c’est une annonce qui occulte aussi une partie du projet initial et des ambitions qui étaient portées pour ce nouveau quartier au moment de la conception de son urbanisme.
Cocréation et Cradle to Cradle
Rembobinons. En mars 2017, le président du FUAK alors en poste, Patrick Gillen, lance un ambitieux processus de cocréation auprès de 18 équipes invitées pour plusieurs terrains, dont la grande languette de 400m de long située au sud de l’avenue Kennedy jusqu’à la rue du Fort Thüngen (répondant au nom de «JFK Sud Zone A1»). Ont suivi un colloque et la remise d’un dossier de réflexion sur base duquel les équipes de cocréation ont été choisies.
Ces équipes multidisciplinaires sont ainsi invitées à travailler de manière transversale et innovante: dès la phase de conception, architectes, ingénieurs, paysagistes et autres spécialistes se réunissent autour de la table pour concevoir de manière transversale et interdisciplinaire un quartier durable et résilient, selon les méthodes du Cradle to Cradle.
Pour le projet «Kennedy Sud», c’est l’équipe composée autour des bureaux d’architectes Steinmetzdemeyer et LEVS, avec Areal Landscape Architecture, AIA Life Designers et le bureau Greisch, qui est désignée.
L’équipe interdisciplinaire en train de travailler en 2018, à l’occasion d’un des workshops de cocréation organisés par le Fonds Kirchberg. (Photo: Paperjam-archives)
Leur réflexion concerne un quartier représentant 145.000 m2 de surface brute, 6.000 m2 de surface mixte commerces/bureaux/espaces partagés/culture. Le PAP définit des immeubles profonds (16 m) qui s’inscrivent dans la déclivité descendant vers Weimershof.
Les immeubles intègrent la réversibilité des usages afin de rendre ces nouvelles constructions résilientes. Une construction mixte bois-béton ou bois-acier est envisagée, avec une installation technique la plus simple possible. Les matériaux de construction, assemblés mécaniquement, devaient devenir des banques de ressources pouvant être utilisées à l’avenir.
Une grande typologie de logements est prévue, du studio au grand appartement familial (3 ou 4 chambres), de plain-pied ou en duplex. La flexibilité des plans permet également l’intégration de locaux professionnels pour des indépendants, des professions libérales ou encore l’occupation d’un plateau complet par une entreprise pour du tertiaire. Il en résulte un programme mixte qui ouvre la porte à de nombreuses occupations et évolutions.
De nombreux espaces extérieurs, individuels et collectifs, sont prévus tout comme de petites surfaces intermédiaires pouvant être confiées à des associations ou des organismes culturels (un petit théâtre est envisagé).
Avant la valeur financière, la valeur de ce projet se voulait avant tout collective.
La situation aujourd’hui
Six ans plus tard, le projet n’est pas sorti de terre, mais d’après la dernière annonce des ministres, les travaux de terrassement vont commencer cet automne. Heureusement, le projet qui sera construit sur cette zone conserve quand même une partie de la réflexion qui a été menée lors de ces intenses cessions de travail et de workshop en cocréation.
La densité est maintenue, avec des bâtiments hauts côté boulevard faisant front aux institutions européennes, et des bâtiments de plus faible hauteur côté Weimershof pour faire la liaison avec le quartier résidentiel et le caractère plus villageois.
Des placettes et cours intérieures restent d’actualité et offrent la promesse d’espaces de rencontre pour les habitants. Des passages assurent la connexion entre la rue du Fort Thüngen et l’avenue Kennedy tout en contribuant à un effet de maillage et de porosité entre les limites haute et basse de la parcelle.
Certains rez-de-chaussée restent activés, principalement côté boulevard, avec l’introduction d’espaces destinés à des bureaux et 12 cellules commerciales de petite et moyenne taille, permettant, espérons-le, une vie de quartier de proximité.
On conserve aussi une petite diversité de logements, avec des appartements et des maisons de ville côté rue du Fort Thüngen (réalisées par le Fonds Kirchberg).
Par contre, la vision d’une construction Cradle to Cadle s’est totalement effacée et la méthode de planification est revenue vers un schéma beaucoup plus linéaire, moins innovant. Désormais, il n’est plus du tout question de construction en bois-béton ou bois-acier, ni d’envisager la déconstruction comme cela avait été prévu initialement. Les immeubles seront réalisés de manière traditionnelle, en béton. Un changement de paradigme qui privilégie une certaine efficience immédiate au détriment d’une vision plus ambitieuse.
«Des concessions ont été faites au niveau de l’innovation, mais nous avons choisi la voie la plus sûre, qui permet de développer les logements dans un temps acceptable», reconnaissait le directeur du Fonds Kirchberg,, dans .
«La constellation juridique qui entoure le développement urbain est très restrictive.
«La constellation juridique qui entoure le développement urbain est très restrictive», explique, architecte en charge du projet. «Aujourd’hui, les autorités nous demandent d’être à 100% conforme avec le PAG et le PAP, alors qu’avant, on arrivait encore à introduire de petites dérogations. Travailler dans ce contexte annihile toute tentative d’innovation sociale ou environnementale dans notre travail. Cela nous a créé de nombreux freins dans ce projet.
Par ailleurs, la crise est passée par là, avec les indexations, l’augmentation du prix du bois, de l’acier, des délais qui s’allongent… Ce contexte économique a sonné la fin de la construction en bois pour ce projet. Et comme nous devons bien évidemment répondre à la crise du logement et livrer des logements en grand nombre rapidement, pour les acteurs publics il n’était plus question d’attendre. Un travail de dialogue s’est donc mis en place avec la SNHBM et le projet a été révisé, dans un dialogue constructif pour essayer de trouver les meilleurs compromis possibles.»
C’est ainsi que les coursives ont pu être maintenues, ainsi que les cours, même si ces dernières sont plus fragmentées à cause du PAP. La SNHBM a accepté de garder une approche innovante pour le traitement des eaux en utilisant les eaux grises pour les chasses des toilettes.
Les banques, dans les mois et années à venir, vont devoir augmenter leurs critères RSE, ce qui implique qu’elles vont aussi devoir financer des projets plus “verts”.
Par contre, la construction bois a dû être totalement abandonnée. «Pour conserver ce type de construction, il aurait fallu que le gouvernement investisse encore plus et considère le bois utilisé dans ce projet comme une banque de matériau pour le futur. Mais il n’y a pas eu de volonté dans ce sens. Tout comme nous avons dû aussi revoir à la baisse la flexibilité des espaces, car cela aussi à un coût. Le développement d’espaces culturels a aussi été abandonné. À la place, ce seront des logements. Mais il reste quand même des espaces communautaires, surtout dans la partie qui est prise en charge par le Fonds Kirchberg», précise Nico Steinmetz.
Ceci amène à nous poser une question: face à l’urgence du logement et aux coûts de construction, Luxembourg est-il prêt et capable de réaliser une architecture véritablement durable? «Je vois peut-être une lueur d’espoir sur ce point, ajoute Nico Steinmetz. Les banques, dans les mois et années à venir, vont devoir augmenter leurs critères RSE, ce qui implique qu’elles vont aussi devoir financer des projets plus “verts”. Petit à petit, nous allons peut-être pouvoir trouver l’argent qu’il nous manque pour réaliser des projets plus durables…»