Pierre Gramegna: «En 2014, le Luxembourg a lancé le premier sakk souverain en euros dans un objectif de diversification de la Place, en s’orientant vers les besoins des pays du Golfe.» (Photo: Matic Zorman)

Pierre Gramegna: «En 2014, le Luxembourg a lancé le premier sakk souverain en euros dans un objectif de diversification de la Place, en s’orientant vers les besoins des pays du Golfe.» (Photo: Matic Zorman)

À l’approche de l’Exposition universelle de Dubaï en 2020 et après la tenue du Sukuk Summit à Luxembourg le 11 novembre, Pierre Gramegna partage sa volonté de développer davantage la finance islamique au Grand-Duché.

Présentée comme un nouveau pilier de la place financière il y a quelques années, la finance islamique était en veilleuse. L’organisation du deuxième Sukuk Summit au Luxembourg le 11 novembre dernier l’a remise en lumière. Bandar Hajjar, président de la Banque islamique de dévelop­pement (coorganisatrice, avec le ministère des Finances, de cet événement), a annoncé à cette occasion que son institution allait installer une «présence légale» au Grand-Duché pour développer les sukuk (obligations conformes aux principes de la finance islamique – «sakk» au singulier) en Europe. «Tous les éléments sont réunis au Luxembourg pour être un hub du marché des sukuk», affirme Bandar Hajjar dans un entretien à Paperjam.

«En 2014, le Luxembourg a lancé le premier sakk souverain en euros dans un objectif de diversification de la Place, en s’orientant vers les besoins des pays du Golfe», rappelle , ministre des Finances (DP), dans un entretien en marge du sommet. Et la bourse luxembourgeoise était la première en Europe à coter un sakk en 2002. Aujourd’hui, le Grand-Duché est le cinquième pays pour la domiciliation de fonds d’investissement conformes à la charia.

Mais aucune banque islamique n’a décidé de poser un pied sur le sol luxembourgeois. Pour asseoir davantage la légitimité du pays en matière de finance islamique, Pierre Gramegna se rendra à Dubaï en amont de l’exposition universelle, dès le mois de janvier 2020, accompagné d’, vice-Premier ministre et ministre de l’Économie (LSAP), et du .

L’objectif est aussi de séduire davantage d’investisseurs, en mettant en avant les atouts de la finance islamique. «Les sukuk sont une alternative aux produits traditionnels dans le contexte des taux d’intérêt bas. Ils garantissent aussi l’exclusion de certains secteurs néfastes pour la société, ce que nous recherchons aussi», constatait , CEO de la Bourse de Luxembourg, lors du Sukuk Summit. La finance islamique suivant les principes de la charia, elle exclut notamment les produits basés sur un taux d’intérêt fixe et prédéterminé (riba), sur l’incertitude ou la spéculation, tout comme les secteurs liés à l’alcool, au tabac, ou encore aux paris.

Une croissance remarquable

«Le marché des sukuk est l’un dont la croissance est la plus remarquable parmi la finance islamique. Il représentera quelque 20 % de notre industrie à la fin de l’année 2020. Selon les données de Bloomberg, le volume d’émission de sukuk en 2017 était de 137,49 milliards, et de 124,45 milliards de dollars en 2020», précisait Bandar Hajjar.

Quels sont les facteurs qui peuvent l’empêcher de décoller? «Le handicap principal correspond aux coûts, notamment liés à un reporting plus complexe. Les sociétés choisissent simplement la solution de facilité. Nous luttons aussi contre les préjugés des investisseurs», déplore Robert Scharfe.

Pierre Gramegna soulève un autre obstacle: «Les standards et d’exigences varient d’un pays à l’autre, ce qui ne facilite pas le développement des sukuk. En plus des Émirats arabes unis, nous cultivons des liens avec la Malaisie, qui est un des pays les plus dynamiques en matière de finance islamique et qui dispose de cadres de référence et de standards un peu plus larges que dans d’autres pays.»

La convergence entre finance durable et finance islamique est avancée comme un des nouveaux arguments pour convaincre les réticents. «Il existe un lien étroit entre la finance islamique et la priorité du gouvernement donnée à la finance durable», observe Pierre Gramegna. «Il existe un paradoxe: les investisseurs focalisent leur attention sur la finance durable, et ne font pas le parallèle avec la finance islamique, qui est pourtant très clair. Les ‘green sukuk’ font tout à fait sens», estime Robert Scharfe.

Le premier «green sukuk» souverain a ainsi été émis par la Malaisie en juin 2017. Le renforcement de la coopération entre la Banque européenne d’investissement et la Banque islamique de développement, qui ont signé un protocole d’accord en ce sens en marge du Sukuk Summit, pourra également jouer sur l’appétence des investisseurs dans les mois à venir.