Michael Feit (Caritas) s’est rendu cette semaine en Ukraine. Sur place, il s’agissait pour lui de faire le point sur le projet de reconstruction qui n’est pas achevé, mais aussi de mesurer les besoins de la population pour planifier d’autres programmes de soutien et d’assistance.  (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Michael Feit (Caritas) s’est rendu cette semaine en Ukraine. Sur place, il s’agissait pour lui de faire le point sur le projet de reconstruction qui n’est pas achevé, mais aussi de mesurer les besoins de la population pour planifier d’autres programmes de soutien et d’assistance.  (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour la troisième fois depuis le début du conflit, le Dr Michael Feit, directeur du département coopération internationale de Caritas Luxembourg, s’est rendu en Ukraine. Depuis ce pays, il évoque pour Paperjam la situation et les besoins sur place. 

Directeur du département coopération internationale de Caritas Luxembourg et actif au sein de l’organisation depuis 26 ans, le Dr Michael Feit était en Ukraine depuis le dimanche 19 février. N’ayant pas eu l’autorisation de rester davantage de temps pour des raisons de sécurité, il reviendra ce jeudi 23 au Grand-Duché. Avant son retour, il dresse un état des lieux de la situation sur place (l’interview a été réalisée le mercredi 22 février, ndlr).

Quel était l’objet de votre venue en Ukraine, à quelques jours des un an de la guerre?

Michael Feit. – «Nous intervenons en Ukraine depuis 2014. Nous avions arrêté un temps, mais nous avons recommencé après le déclenchement de la guerre le 24 février 2022. Pour ma part, c’est la troisième fois que je viens en Ukraine depuis le début de la guerre. En général, je vais plutôt dans l’ouest, cette fois-ci, nous sommes à Kiev. 

Quelles sont vos missions sur place?

«Nous sommes en train de terminer le projet d’aide pour l’hiver. Il s’agit d’un projet de reconstruction des maisons et bâtiments. Nous avons aussi fait beaucoup de distributions de bois, de nourriture, de vêtements… Le ministère des Affaires étrangères nous a donné la possibilité de poursuivre le projet de reconstruction.

C’est pour cette raison que je suis là: définir ce que l’on fera dans les prochains mois et dans quelle région. C’est aussi une façon de montrer notre solidarité avec le peuple ukrainien et nos partenaires sur place. J’aurais pu choisir de rester au chaud et en sécurité chez moi et de faire cela par visioconférence, mais non, j’ai voulu venir pour montrer qu’on ne les oublie pas, que nous sommes avec eux. 

Quelle est la situation aujourd’hui à Kiev?

«Il ne faut pas s’imaginer que Kiev est complètement à l’arrêt. C’est une grande ville qui vit encore à peu près normalement. Il y a encore des cafés, des restaurants… Ici, on ne sent pas trop la guerre, mais on vit au rythme des alertes aériennes. Par exemple, ce matin, il y a eu une alerte. Nous avions prévu une réunion avec nos collègues, nous l’avons donc fait à l’abri dans la bouche de métro. C’est quelque chose qui arrive quasiment chaque jour. Une autre spécificité est le couvre-feu, de 23 heures à 5h du matin. La troisième difficulté, ce sont les coupures d’électricité. 

L’envie, la joie, ça n’existe plus dans des villes comme Boutcha.
Dr Michael Feit 

Dr Michael Feit directeur de la coopération internationaleCaritas Luxembourg

Mais la situation est plus tendue ailleurs…

«Oui. Nous avons aussi travaillé près de la frontière avec la Biélorussie, ainsi qu’à Boutcha, Irpin, Tchernobyl… Ce sont les régions qui ont été occupées pendant les six premières semaines, il y a eu beaucoup de destruction. Dans ces zones, la situation est complètement autre qu’à Kiev. Il n’y a aucun sourire sur les visages. On sent une profonde tristesse qui règne. Des tanks russes sont encore là, exposés. L’envie, la joie, ça n’existe plus dans des villes comme Boutcha. Les évènements sont encore très présents. Il y a un travail de psychothérapie à mener là-bas. Quant à l’est du pays, nous ne pouvons pas y accéder du tout, c’est encore beaucoup trop dangereux. 

Dans quel état d’esprit sont les Ukrainiens que vous avez pu rencontrer ? 

«À Kiev, les gens ne semblent pas du tout en panique, mais ils redoutent le 24 février. Ils ont peur pour leurs amis, pour leur famille, pour leurs voisins qui sont engagés dans l’armée. Ils craignent aussi de recevoir une convocation pour aller se battre.

On perçoit une certaine normalité dans la catastrophe, on peut travailler, vivre, recevoir des soins. Ils se sont en quelque sorte adaptés à la situation. Ils ne baissent pas les bras, car ils ne peuvent pas se le permettre. Les gens ont besoin d’attention, de soutien, mais ils ne sont pas encore fatigués de se battre ni de vivre dans ces conditions. La plupart sont encore motivés. La visite de Joe Biden lundi [le 20 février, ndlr] a relancé l’espoir d’une victoire. Ils ne s’attendent pas à un arrêt des combats, mais ils sont prêts à aller jusqu’au bout.

Quels sont leurs besoins?

«Nous avons visité beaucoup de familles hier et avant-hier qui ont vécu dans les zones où les Russes ont détruit les maisons. Les gens sont assez vite rentrés et ils ont vécu un hiver difficile. Ils avaient besoin qu’on répare des fenêtres, les toits, qu’on leur donne un peu de bois pour se chauffer.

Les gens ne demandent que le minimum pour survivre. Souvent, ils nous disent «donnez-moi un peu, mais gardez pour les autres». Certains vivent avec un handicap, il y a aussi des personnes très âgées, des femmes seules avec leurs enfants… Eux ont besoin d’une aide plus sociale que financière ou matérielle. Ça sera d’ailleurs l’objectif de notre prochain programme. 


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Justement, quelles seront les prochaines actions de Caritas Luxembourg en Ukraine? 

«Jusqu’à maintenant, nous étions dans l’urgence. Il s’agissait de donner de quoi manger, se réchauffer pour survivre. Nous allons aussi poursuivre la reconstruction dans les zones libérées, mais désormais la situation est un peu différente.

Nous souhaitons aider les gens à faire des plantations par exemple, en leur fournissant des semences. Nous voulons aussi les aider à retrouver un salaire, des revenus. Par exemple pour une coiffeuse, il s’agirait de lui donner le matériel dont elle a besoin pour qu’elle puisse relancer son activité. Et puis, nous allons surtout nous occuper des personnes en détresse sociale, proposer un retour à l’école, des activités pour les jeunes…  

Quel montant représente l’aide que vous apportez depuis le début du conflit?

«Nous avons déjà reçu environ 3 millions d’euros de dons au Luxembourg. Une petite partie a été utilisée pour les réfugiés ukrainiens accueillis à Luxembourg, mais aussi pour ceux accueillis en Moldavie. Au total, nous avons pour l’heure engagé plus de 2 millions d’euros. L’idée est de ne pas tout dépenser et de garder une réserve. Nous veillons à ce que l’argent soit utilisé de la bonne façon, c’est-à-dire pour améliorer la sécurité.»