«Il y avait un peu des problèmes d’hygiène mentale au Kirchberg. C’était les patriarches qui géraient, et le gouvernement qui plaçait partiellement ses journalistes, donc aucune règle au niveau du journalisme. Très peu de professionnalisme pour un groupe qui en avait quand même à l’étranger, aucun respect des budgets. On a dû mettre de nouvelles choses en place, des concepts qui fonctionnent encore aujourd’hui.»
Ce mardi soir, pour le Paperjam Club, Alain Berwick se pose. Celui qui a dirigé RTL Luxembourg pendant 30 ans – «32 ans», précise-t-il – est libéré de toute relation avec «son» groupe depuis le 1er septembre.
«En démarrant, j’étais un peu naïf au niveau de la complexité du système luxembourgeois. Je ne connaissais pas du tout ce mélange entre politique et médias et le non-respect des règles du journalisme. Au début, j’ai été un peu effrayé, j’ai eu une bonne partie des équipes qui ne voulait plus travailler, qui se mettait en grève et qui allait pleurnicher chez le Premier ministre, Jacques Santer, qui les accueillait, ce qui était aussi spécial au niveau éthique…», se souvient-il.
«En décembre de l’année où j’ai commencé en juin, je regarde les news, mon petit-fils sur les genoux. Le présentateur, Lucien Michels, dit qu’Alain Berwick n’est plus là sur décision de Jacques Santer. Le Premier ministre leur avait promis, pour eux, c’était valable. Mais après un coup de fil à Albert Frère, il a dit ‘non’ et j’étais toujours en place, évidemment», s’amuse celui qui préfère aujourd’hui regarder Arte, écouter France Inter et lire la Neue Zürcher Zeitung.
Sur l’attitude des médias: «Ce qui me dérange un peu au niveau du Luxembourg, tous médias confondus, c’est que les news sont nettement moins critiques qu’à l’époque. Pour RTL, c’est peut-être dû à un directeur de l’information qui a d’autres vues là-dessus. Tous les médias sont très peu critiques, je sais que c’est difficile. Les équipes sont réduites. Chaque journaliste doit traiter des sujets très différents, il y a peu de spécialisation, beaucoup de travail, donc peu de suivi des dossiers. Mais les jeunes journalistes se donnent moins de peine, recherchent la facilité, et le média a le même problème: le recrutement. Il ne trouve pas de journalistes confirmés. Dès qu’un journaliste confirmé parle luxembourgeois, l’État l’engage, ou Post ou Luxair au niveau des relations publiques. Donc la qualité descend.»
Sur la réforme de l’aide à la presse: «Il n’y a plus vraiment de titre critique. Avec la réforme de l’aide à la presse, le gouvernement essaie de donner un peu plus de poids à internet et ne plus donner à Editpress – c’est un exemple – l’aide à la presse. L’aide à la presse à Editpress, c’était ridicule! Imprimer des pages. Avoir de l’argent. Le lectorat baissait de plus en plus et ils encaissaient juste via l’aide à la presse, c’était absolument anormal. Que (DP) et Paul Konsbruck favorisent internet, très bien. La création de petits sites, de petites rédactions, via des subventions, ok. Je suis certain qu’il n’y en aura pas beaucoup, c’est difficile de survivre, mais c’est une première étape. Ce qui est plus triste, c’est que certains gros médias ont peur de ces décisions. Si vous êtes à 80, à 50, il ne faut pas avoir peur d’une équipe de quatre ou cinq personnes, sinon vous êtes très faible! me critiquait à l’époque, mais il a tout fait pour casser ce média qui était un média fort. Tomber sous 10%, à mon avis, était la fin. Aujourd’hui, le Tageblatt et Le Quotidien peuvent écrire ce qu’ils veulent, plus personne ne les lit, ça ne dérange personne.»
Sur le Wort et son rachat par Mediahuis: «Le Wort n’était plus lié au parti, l’Église n’est plus propriétaire. Ils vont probablement respecter les sensibilités religieuses du pays, ce qui est très bien. Mais ce groupe-là, Mediahuis, est quand même connu à l’étranger, en Belgique. Ça rassure les équipes. À long terme, le Wort gardera une certaine place même s’il ne sera plus jamais le leader. Au niveau du développement internet, ils vont profiter des synergies du groupe. Ils seront un média généraliste et neutre, et le pays en a besoin.»
Sur l’avenir de RTL au Luxembourg: «Je ne me fais pas de souci. Le groupe va respecter les accords de concession. Bertelsmann est connu pour cela. Ayant donné toutes les assurances au gouvernement luxembourgeois, ils ne quitteront pas avant 2030. Après, je n’ai pas de visibilité. Dix années de garantie qu’ils restent. Que les dirigeants soient assis ici ou à Cologne et voyagent quatre jours sur cinq, ça n’a pas d’incidence. Les licences valent de moins en moins et le groupe n’est plus prêt à payer la contrepartie manquante pour la télé. Le chèque devient plus petit et l’État doit financer le reste. Pour les radios et pour internet, si le groupe partait, je ne vois aucun problème. De belles rentabilités et pas de grandes charges.»
Sur son éventuel rachat du web et de la radio de RTL: «Vous me donnez une bonne idée. Ça aurait du sens. Mais certainement pas avant ces échéances. Indépendamment de qui le fait, si l’organisation reste la même, si les contenus sont bons, et les contenus devraient être plus critiques, chacun réussira. Il faudra voir ce que le groupe et le gouvernement veulent à la fin de la concession. Il y aura probablement des gens que ça intéressera à ce moment-là.»
Sur la gestion du Covid: «La gestion de la crise au Luxembourg a été plutôt bonne. Cela dit, on peut se poser la question de savoir si le lockdown complet était nécessaire. On peut aussi se poser la question et donner la parole à des médecins et des chercheurs qui ont des points de vue différents. Pour susciter le débat et permettre que les gens se fassent leur opinion. C’est le rôle des médias classiques. Les politiciens n’ont pas de problèmes: ils distribuent notre argent.»