Claire Audollent (DRH Université du Luxembourg); Lise Roda (DRH Banque Pictet & Cie); Magali Maillot (DRH A&O Shearman) et Delphine Bath (DRH La Mondiale Europartner) (Photos: Université du Luxembourg, La Mondiale Europartner, Banque Pictet & Cie et A&O Shearman)

Claire Audollent (DRH Université du Luxembourg); Lise Roda (DRH Banque Pictet & Cie); Magali Maillot (DRH A&O Shearman) et Delphine Bath (DRH La Mondiale Europartner) (Photos: Université du Luxembourg, La Mondiale Europartner, Banque Pictet & Cie et A&O Shearman)

Les tensions accrues sur le marché du recrutement conduisent les RH à redoubler d’agilité pour transformer leurs approche et processus. Une autre révolution en cours.

«Force est de constater que nous recherchons tous les mêmes compétences sur la Place, et il est rare de trouver la somme des compétences attendues auprès d’une seule et même personne», constate la DRH de Banque Pictet & Cie, Lise Roda. Façon de poser le décor. «Ce que nous recherchons alors à observer chez nos candidats, poursuit-elle, c’est la capacité (rapide) d’apprentissage, de travailler en réseau, et de s’appuyer sur les ressources et expertises disponibles au sein de l’organisation. Le niveau d’agilité d’un candidat et sa compréhension d’enjeux plus globaux auxquels l’entreprise doit faire face sont également des aspects que nous recherchons.»

«Nous cherchons des collaborateurs qui seront susceptibles de se sentir bien dans la banque, pour y progresser et contribuer à notre développement. En l’occurrence, nous ne cherchons pas uniquement des compétences ou une expérience, mais des personnes qui ont des valeurs, qui ont envie de construire, et qui veulent travailler dans une communauté dans laquelle chaque personne compte», résume la DRH de Banque de Luxembourg, Nicole Dochen.

«Nous privilégions une approche résolument humaine, pour nous donner le temps de nous connaître mutuellement au travers de plusieurs entretiens. Nous prenons le temps de comprendre les exigences et les attentes des candidats, pour les accompagner de façon personnalisée lors de la phase de recrutement, mais aussi d’onboarding. Enfin, nous faisons en sorte que le processus soit le plus réactif et agile possible, dans la mesure où les candidats sont très sollicités. C’est aussi du respect. La difficulté réside aujourd’hui dans la rareté de certains profils (multilingues, expertise pointue surtout dans le domaine du risque et du réglementaire ou dans la technologie).»

«Être proactifs»

«Nous devons être proactifs dans notre approche de recrutement, en utilisant des stratégies actives telles que le recrutement via les réseaux sociaux et les événements de réseautage. Les principales difficultés incluent la pénurie de compétences spécifiques et la concurrence avec d’autres entreprises, ainsi qu’avec le secteur public», englobe le DRH de la banque Raiffeisen, Laurent Derkum.

«Nous préférons parler de forces vives plutôt que de talents, nuance la DRH de Société Générale Luxembourg, Aurélie Ederle. La concurrence la plus agressive se situe au niveau des fonctions régaliennes (juridiques, les spécialistes de la conformité ou du risque, etc.). Société Générale Luxembourg cherche à placer le collaborateur au centre de ses préoccupations. Cela signifie tout d’abord lui aménager des conditions de travail optimales. La banque offre notamment une grande flexibilité dans la gestion du temps de travail. Notre objectif est aussi de proposer un parcours de carrière et non juste un poste, et de voir plus loin que le poste auquel le candidat postule. Grâce à un programme de mobilité qui permet aux collaborateurs de travailler leur employabilité.»

Autre piste: «Nos partenariats avec des écoles et universités nous permettent d’accompagner des primo-demandeurs d’emploi, notamment dans le développement de leurs compétences et de capitaliser sur leur parcours académique. Nous disposons également d’un programme de Volontariat international en entreprise (VIE), pour lequel nous avons été récompensés. Enfin, nous sommes également très présents sur les forums d’emploi.»

Compétition «féroce»

«Nous sommes confrontés à une pénurie de talents multilingues et expérimentés dans le secteur de l’assurance-vie, constate la DRH de Lombard International Assurance, Edith Brunner. Les spécialisations requises limitent le nombre de candidats qualifiés. Les délais administratifs pour l’obtention des visas et permis de travail, associés à des exigences salariales élevées, complexifient nos recrutements et encore plus particulièrement dans les fonctions informatiques. La compétition est féroce dans le secteur financier.»

«Il est essentiel de faire évoluer nos processus de manière constante pour rester attractifs, pense la DRH d’A&O Shearman, Magali Maillot. Les nouvelles générations sont plus sensibles aux relations et au sens donné au travail. Il est donc crucial de leur démontrer ce que notre cabinet peut leur apporter. Le vivier des avocats est principalement externe au Luxembourg et limité, avec de nombreux concurrents présents. Nous devons donc relever plusieurs défis pour recruter les talents dont nous avons besoin.»

«Il est essentiel de continuer à travailler sur l’attractivité du Luxembourg, car nous sommes en concurrence avec des places européennes comme Paris, Francfort et Londres où il est souvent plus «sexy» de s’installer.  
Magali Maillot

Magali MaillotDRH  A&O Shearman

Pour ce faire, «nous avons beaucoup travaillé sur notre marque employeur et notre culture d’entreprise, misant sur ce qui nous rend uniques: le prestige de nos dossiers et de nos clients, l’ambiance et l’environnement de travail, et les liens humains. Nous rencontrons les étudiants en droit dans leurs universités, et nous leur proposons des stages pour qu’ils puissent s’imprégner de notre culture. Il est essentiel de continuer à travailler sur l’attractivité du Luxembourg, car nous sommes en concurrence avec des places européennes comme Paris, Francfort et Londres où il est souvent plus «sexy» de s’installer», prévient la dirigeante.

«Tension aiguë»

«Chaque recrutement est un challenge dans un marché en pénurie, restreint et très spécialisé comme le nôtre, convient la DRH de La Mondiale Europartner, Delphine Bath. La pression reste maximale sur certains métiers ultra-techniques, comme l’actuariat, la conformité ou l’ingénierie patrimoniale. Et l’émergence de nouveaux besoins liés à l’intelligence artificielle va créer très rapidement une tension aiguë sur ces profils. Cela se traduit pour nous par un risque d’allongement des délais de recrutement ou une pression des enveloppes salariales. En tant qu’employeur, nous veillons à ne pas alimenter la surenchère qui déséquilibre le marché. À la place, nous recherchons des profils à fort potentiel évolutif et investissons dans leur développement.»

«Les difficultés concernent notamment la pénurie de certaines compétences clés (juristes, actuaires, informatique, etc.) et les attentes de la nouvelle génération, pointe le DRH de Lalux, Marc Parage. Il faut se démarquer par une culture et une stratégie de recrutement adaptées aux nouvelles exigences du marché et une offre de formations et de développement attractive. Nos concurrents principaux sur le marché de l’emploi: l’État luxembourgeois et les communes.»

Délais rallongés

«La coexistence de quatre générations – les baby boomers, la génération X, les millennials et la génération Z – apporte une nouvelle dynamique et de nouvelles exigences à la gestion des talents, retient la DRH de BDO, Matina Korma. Cette diversité générationnelle exige une approche flexible et collaborative, ce qui nous incite à remodeler nos stratégies en matière de talents pour naviguer efficacement dans la «guerre des talents» grâce à des méthodes qui n’existaient pas il y a dix ans.»

«La «guerre des talents» se traduit par une exigence accrue des candidats et des délais de recrutement plus longs. Nous sommes confrontés à une concurrence, parfois internationale, très forte, dépeint le DRH du Luxembourg Stock Exchange, Christopher Frères. Un autre de nos challenges est que, étant la seule bourse à Luxembourg, il est difficile de trouver des candidats ayant déjà une expérience probante dans nos activités.» Par conséquent, «nos principales «armes» sont une marque employeur forte et un processus agile. Notre plus grand facteur d’attractivité reste notre singularité et la possibilité de découvrir des activités uniques à Luxembourg. Il n’y a qu’une seule bourse!»

«En cette phase, nous concentrons nos efforts sur l’augmentation des opportunités de mobilité interne et sur le développement des compétences de nos employés afin de leur permettre de se déployer dans de nouveaux rôles, éclaire le Head of talent and learning d’ING Luxembourg, Julian Troian. Devenir un employeur de choix, grâce à notre marque et à l’expérience employé, nous aidera à surpasser nos concurrents dans la recherche de talents rares qui ne sont pas encore chez ING.»

«Profils atypiques»

«Comme dans tout le secteur privé, nous faisons face à des défis majeurs tels que l’accès au logement, la mobilité, des attentes croissantes de la part des collaborateurs et la concurrence avec la fonction publique, liste la DRH de l’ABBL, Myriam Sibenaler. Par ailleurs, les idées reçues sur l’industrie bancaire nous obligent à rappeler constamment le rôle essentiel des banques dans la compétitivité des entreprises et la prospérité de nos concitoyens», alors que «le secteur bancaire luxembourgeois bénéficie d’une convention collective particulièrement attrayante, récemment révisée pour renforcer l’employabilité des employés».

«Certains postes spécifiques comme dans la data, l’IT, la vente ou la distribution de courrier, colis et journaux restent difficiles à pourvoir en raison d’une forte concurrence sur le marché, illustre la DRH de Post, Isabelle Faber. Pour répondre à ce défi, l’entreprise a développé une stratégie efficace de recrutement en organisant des événements de recrutement spécifiques et en participant à des salons internationaux pour attirer les talents recherchés.»

«Le marché est sans doute un peu moins tendu cette année, mais certains profils restent compliqués à trouver. Je dirais qu’un employer branding différenciant et des leaders inspirants forment la combinaison gagnante», songe le DRH de SLG, Fabrice Encelle, qui explique s’appuyer sur «une équipe recrutement au top, des process simples et rapides pour les candidats, l’expérience candidat étant essentielle. J’ajouterais des leaders qui donnent envie de les rejoindre.»

«La guerre des talents nous pousse à recruter plus vite, avec des démarches plus personnalisées et compétitives, décrit la DRH de Dussmann, Christelle Noel. Nous faisons aussi très attention à soigner l’expérience des candidats et l’image de notre entreprise, tout en cherchant des profils variés pour apporter de nouvelles perspectives à l’équipe.»

«La rareté des profils qualifiés rend les recrutements plus longs et coûteux. Par exemple, certains métiers techniques (maçon-coffreur, ingénieur) souffrent d’un déficit de candidats», explique le DRH de CDCL Group, Julien Bossu. Sa recette? «Des outils comme des campagnes de marque employeur ou des partenariats avec des écoles sont essentiels. De même que de se tenir continuellement informé de son réseau sectoriel.»

«Comme nous travaillons à l’international, nous avons besoin que nos candidats parlent plusieurs langues, et nous sommes confrontés à la concurrence avec l’État qui offre des perspectives plus intéressantes que dans le privé», déplore la DRH de Rak Porcelain Europe, Chantal Trausch.

«Le paradigme s’est inversé»

La «guerre des talents», explique la DRH de La Provençale, Liliana Alves, «se traduit par des candidats de plus en plus exigeants, notamment en matière de flexibilité et de rémunération. Notre difficulté reste également de trouver certains profils qui demeurent rares sur le marché du travail de par un métier moins attractif. Ce qui nous démarque est l’opportunité de faire carrière en entreprise, que l’on soit ou non en possession d’un diplôme.»

«Notre secteur d’activité n’a plus le pouvoir d’attraction qu’il avait il y a quelques années, les candidats ont beaucoup de préjugés, et recruter devient de plus en plus compliqué, regrette la DRH de Cocottes, Léa Piot. Nous nous efforçons de transmettre une image positive de notre entreprise et cela se concrétise par une augmentation des candidatures spontanées, une satisfaction des nouveaux embauchés positivement surpris de notre fonctionnement, de l’ambiance que nous véhiculons, différents de l’idée qu’ils se faisaient de la restauration.» Parmi les évolutions, «nous avons décidé de mettre en place le travail en continu dans la plupart de nos enseignes afin d’opter pour une meilleure qualité de vie, ainsi que le travail sur quatre jours dans notre foodhall de la Belle Étoile. Le candidat peut donc trouver un rythme adéquat à sa vie privée, tout en étant dans le domaine de la restauration.»

«Il est primordial d’alléger et de fluidifier les processus de recrutement afin de ne pas perdre des candidats talentueux en chemin, prévient la DRH de Delhaize Luxembourg, Marine Cardé. L’expérience candidat doit être simplifiée, rapide et positive. Par ailleurs, un bon marketing RH, associé à une réputation sociétale solide et cohérente, est un préalable incontournable pour attirer les meilleurs talents.» Dans son recrutement, Delhaize organise notamment des Job Days internes, «une solution efficace pour combiner diversité, visibilité et rapidité dans le processus».

«Avant, lors de mes recrutements, je demandais: «Pourquoi devrais-je vous embaucher vous plutôt qu’un autre candidat? Qu’avez-vous à offrir à notre entreprise?», se souvient la DRH de Sodexo Luxembourg, Ann De Jonghe. Aujourd’hui… c’est le contraire, le paradigme s’est inversé. D’acheteurs qui sélectionnent, nos recruteurs sont devenus plus des vendeurs qui doivent convaincre.»

Concurrence internationale

«L’Université du Luxembourg est à la recherche permanente de profils académiques et administratifs hautement qualifiés, rappelle la DRH Claire Audollent. Cela implique de rechercher des candidats à l’échelle européenne voire mondiale dans certains domaines comme celui de l’informatique, en attirant d’excellents professeurs, chercheurs et experts de haut niveau dans des disciplines très pointues. Difficulté: la concurrence étant internationale, les candidats peuvent recevoir plusieurs offres, non seulement d’autres universités, mais aussi du secteur privé, qui peut proposer des rémunérations plus compétitives. De plus, les processus de visa et de mobilité internationale peuvent ajouter une complexité logistique, ralentissant les processus de recrutement et donc l’attractivité.»

«Depuis la crise sanitaire, la «guerre des talents» s’est accrue spécifiquement dans le secteur de la santé, rappelle la DRH de la Fondation Hôpitaux Robert Schuman, Karine Rollot. Il s’agit d’une problématique à l’échelle mondiale. Les candidats viennent de plus en plus loin et les démarches administratives associées augmentent la durée du délai de recrutement. Et les profils rares sont conscients d’occuper une «position de force» sur ce marché de plus en plus tendu.»

Du côté du CHL, le DRH Olivier Schmitt affirme élargir «notre périmètre de recrutement au-delà des frontières européennes. Parallèlement, la recherche et l’enseignement sont des piliers de notre institution. Nous formons plus d’une centaine de médecins chaque année, ainsi que près de mille soignants, en investissant massivement dans la formation de pointe et la transmission des savoirs afin de coconstruire avec nos talents un avenir en commun. Le sens de l’engagement au service du patient est une valeur essentielle à laquelle nous sommes particulièrement attachés.»

«Dans notre processus de recrutement, orienté vers le social, nous n’avons pas à proprement parler de «guerre des talents» à notre niveau, assure la DRH de la Stëmm vun der Strooss, Tatiana Escure. En revanche, nous rencontrons des difficultés à trouver certains métiers à cause de la reconnaissance des diplômes ou des exigences de langue. Cela peut prendre un certain temps, pour les assistants sociaux par exemple.»

«Si nous pouvions faire évoluer des règlements, ce serait ceux qui touchent aux qualifications professionnelles, tranche la DRH de la Croix-Rouge Luxembourg, Dorothée Schneider. Dans les métiers réglementés, il faudrait pouvoir accélérer les processus d’homologation des diplômes étrangers, et intégrer une plus grande souplesse linguistique, pour permettre à des personnes multilingues, mais non luxembourgophones, de pouvoir être embauchées plus facilement.»

20.000

La pénurie de talents? Quelle pénurie? En 2024, la Croix-Rouge luxembourgeoise affirme avoir reçu 20.000 CV… pour 650 postes à pourvoir. «Notre défi, c’est de trouver dans la masse de candidats ceux qui ont la posture et la passion professionnelle que nous recherchons… et ce d’autant plus que nous avons décidé de ne pas aller chasser activement des collaborateurs chez les autres acteurs de notre secteur», indique la DRH Dorothée Schneider.

Ce qu’ils voudraient changer

«Pour nos fonctions de support, un assouplissement des règles concernant le télétravail offrirait davantage de flexibilité. Pour nos fonctions en magasin, nous souhaiterions une évolution législative permettant, occasionnellement, de dépasser les 10 heures de travail par jour afin d’expérimenter la semaine de quatre jours», affirme Marine Cardé (Delhaize).

Même souhait de Christelle Noel (Dussmann): «Permettre plus de flexibilité sur les modes de travail en adaptant les lois pour que le télétravail, même depuis l’étranger, et les horaires hybrides soient plus simples et mieux encadrés.» «Une plus grande flexibilité réglementaire, notamment sur le télétravail transfrontalier, serait un atout précieux», ajoute Christopher Frères (Luxembourg Stock Exchange). «Le problème principal reste le coût et l’accessibilité au logement, toute aide serait précieuse», complète Fabrice Encelle (SLG).

«Idéalement, et c’est utopiste peut-être, il faudrait que la fonction publique soit moins attractive et plus proche du secteur privé, en termes de rémunération et congés. Afin que nous puissions «combattre» à armes égales», propose Chantal Trausch (Rak Porcelaine Europe).

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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