Alan Picone est associé et responsable de la division «regulatory & risk advisory» de KPMG Luxembourg pour la gestion d’actifs et les fonds alternatifs. (Photo: KPMG Luxembourg)

Alan Picone est associé et responsable de la division «regulatory & risk advisory» de KPMG Luxembourg pour la gestion d’actifs et les fonds alternatifs. (Photo: KPMG Luxembourg)

Suite à la publication de l’enquête de KPMG Luxembourg sur les sociétés de gestion et les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs au Grand-Duché, Delano s’est entretenu avec Alan Picone, leader du conseil en gestion d’actifs, pour connaître les principaux enseignements de l’enquête et l’importance d’acquérir une certaine évolutivité.

La troisième édition de l’ se concentre sur les forces qui conduisent à l’évolution du Modèle opérationnel des sociétés de gestion (ManCo) et des gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFM). Elle couvre 22 super-ManCo et huit gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs qui, ensemble, gèrent plus de 4.150 compartiments, disposent de plus de 2.400 milliards d’euros d’actifs sous gestion et représentent 60% du marché luxembourgeois.

«Pas de statu quo dans le modèle opérationnel»

Pour Alan Picone, responsable du conseil en gestion d’actifs chez KPMG, l’enquête a permis de tirer deux conclusions essentielles:

«La grande majorité [des sociétés de gestion et des gestionnaires de fonds alternatifs interrogés] – 97% pour être précis – affirme que leur modèle opérationnel est en évolution», déclare M. Picone. Près d’un tiers d’entre eux, soit 31%, considèrent que leur modèle opérationnel est en pleine transformation. «Cela suggère qu’il n’y a pas de statu quo dans le modèle opérationnel des gestionnaires de fonds alternatifs et des sociétés de gestion.»

Cette situation est due à une combinaison de facteurs, explique M. Picone à Delano. «C’est la question de savoir ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas, et comment gérer l’opération de manière transparente et efficace, en décidant de ce qui doit être internalisé et de ce qui doit être externalisé, qui continue d’être un moteur clé de l’évolution du modèle d’exploitation.»

«Le deuxième moteur de l’évolution du modèle opérationnel est l’attention toujours plus grande portée aux techniques d’atténuation du risque réglementaire et à l’intégration du risque réglementaire dans les paramètres de la société de gestion des données. Il y a donc beaucoup plus d’attention, pour ainsi dire, au quotidien, pour les questions de risque réglementaire et un certain niveau d’ingénierie autour de cela, au sein des fonctions de conformité, au sein des fonctions de risque, etc.»

«Enfin, et ce n’est pas le moins important: la voie des solutions alternatives», ajoute M. Picone, en référence au troisième moteur de l’évolution des modèles d’exploitation. Les entreprises continuent d’évoluer vers les activités alternatives, ce qui explique que les modèles évoluent également. «L’intégration des fonds alternatifs n’est tout simplement pas un élément supplémentaire de la plateforme Ucits [organisme de placement collectif en valeurs mobilières]. Mais c’est quelque chose de difficile à mettre à l’échelle, en fait, où il y a un certain degré de complexité autour, si vous voulez, de l’évolution d’une activité liquide vers une activité illiquide. C’est donc là que nous avons quelques moteurs intéressants qui alimentent cette évolution des modèles d’exploitation.»

Passage à un modèle de groupe en étoile

«Le deuxième constat est que nous avons remarqué une évolution des opérations luxembourgeoises vers ce que l’on pourrait qualifier de modèle de groupe en étoile, c’est-à-dire une certaine volonté, un certain appétit, une décision stratégique de la part du groupe de capitaliser et de tirer parti de ses opérations luxembourgeoises pour leur donner une mission plus large», déclare M. Picone.

Cette volonté est évaluée à travers plusieurs dimensions, telles que l’expansion des créations de succursales. 73% des répondants à l’enquête ont déclaré avoir une succursale. Le nombre moyen de succursales, ajoute M. Picone, est de quatre.

Une deuxième dimension qui suggère l’évolution vers un modèle en étoile est «le désir de saisir les opportunités du marché de détail pour les produits luxembourgeois, tels que l’OPC partie II, à l’avenir, probablement Eltif [fonds européen d’investissement à long terme] 2», souligne M. Picone. 45% des participants à l’enquête ont déclaré qu’ils offraient ou envisageaient sérieusement d’offrir des fonds d’investissement alternatifs aux investisseurs de détail. Pour les groupes, «cela implique un certain angle luxembourgeois pour la création du produit et, par la suite, la gestion du produit par les sociétés de gestion ou les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs.»

La troisième dimension concerne l’extension des licences. Deux tiers des personnes interrogées ont déclaré avoir introduit une demande d’au moins une nouvelle licence l’année dernière. Les raisons peuvent être diverses – infrastructure immobilière, capital-investissement ou complément de la directive sur les marchés d’instruments financiers (Mifid), par exemple – mais c’est un signe fort que les groupes sont intéressés par la capitalisation et l’exploitation de ce que les sociétés de gestion ont à offrir. 50% des acteurs proposent une gestion de portefeuille discrétionnaire (GPD), ajoute M. Picone, c’est-à-dire lorsqu’un fonds mandate «une organisation pour concevoir un fonds spécifiquement pour son objectif, avec ses propres contraintes, ses propres exigences».

En outre, «un tiers de la population distribue des produits de groupe, à partir du gestionnaire de fonds alternatifs, par le biais du complément du gestionnaire de fonds alternatifs», souligne M. Picone. «Cela signifie qu’il ne s’agit pas nécessairement de produits gérés par l’AIFM, mais de fonds distribués par l’AIFM.»

Une quatrième dimension est que «55% des organisations ont une personne du comité exécutif de l’entreprise luxembourgeoise qui porte la responsabilité du groupe», dit M. Picone. Il peut s’agir, par exemple, d’un responsable de la conduite des opérations ayant une responsabilité au Luxembourg ainsi qu’un rôle au niveau mondial. Cela «démontre le niveau d’interconnexion entre l’entreprise luxembourgeoise et le groupe en général».

Quelles sont les priorités des Mancos au Luxembourg?

Pour M. Picone, les Mancos doivent se concentrer sur trois priorités. «La première est de continuer à rationaliser le modèle d’exploitation et à gagner en efficacité, en vue de gagner – et je pense que c’est le mot clé – en évolutivité. L’évolutivité pour quoi faire? Pour être en mesure d’absorber de nouveaux produits, de nouvelles stratégies, de nouvelles idées, de nouvelles licences, de nouvelles voies commerciales, d’une manière qui réponde parfaitement aux besoins de l’entreprise.» Cette priorité est d’ailleurs reflétée par les répondants à l’enquête, a-t-il ajouté, et figure parmi les points de leur propre liste de priorités.

Non seulement nous avons un régulateur engageant, mais le niveau d’engagement est devenu thématique.
Alan Picone

Alan Piconeleader du conseil en gestion d’actifsKPMG Luxembourg

La deuxième priorité est la gestion du risque réglementaire, comme la préparation à d’éventuelles inspections ou demandes de renseignements de la part du régulateur. Selon l’enquête, 70% des sociétés de gestion rencontrent proactivement le régulateur pour discuter de nouvelles stratégies ou de changements dans le modèle d’exploitation.

«Il est devenu très clair que non seulement nous avons un régulateur qui s’engage, mais aussi que le niveau d’engagement est devenu thématique», indique M. Picone. Dans le passé, deux ou trois thèmes – comme la gouvernance ou la lutte contre le blanchiment d’argent – pouvaient être abordés. «L’année dernière, il y a eu des sujets comme l’évaluation, les charges personnalisées, l’ESG, la gestion des risques. Il s’agit donc d’inspections thématiques sur mesure menées par un régulateur, ce qui multiplie évidemment la probabilité pour une organisation de recevoir une inspection.»


Lire aussi


«La troisième priorité que nous voyons est de continuer à consolider le centre d’excellence, pour ainsi dire, en ce qui concerne la distribution et les produits. Cette priorité est liée à la première: la rationalisation du modèle d’exploitation. «Il s’agit de faire en sorte qu’en fin de compte, le Luxembourg soit la plaque tournante des produits, y compris, dans une certaine mesure, les capacités de fabrication des produits, la structuration et tout cela.»

Le paradoxe ESG

Bien que les sociétés de gestion et les gestionnaires de fonds alternatifs considèrent l’ESG comme un domaine réglementaire clé, la plupart des sociétés de gestion ne considèrent pas leur cadre comme suffisamment mature, selon l’enquête. 62% ont déclaré qu’il s’agissait d’un travail en cours.

Comment expliquer ce paradoxe?

Il y a deux paradoxes, déclare M. Picone. Tout d’abord, «il y a différents niveaux d’approbation de l’ESG en tant qu’opportunité». Si l’on considère les actifs sous gestion placés dans des produits relevant de l’article 8 ou 9 par rapport à l’ensemble des actifs sous gestion, le ratio va de pratiquement 0% à 100%. «Cela signifie des niveaux d’approbation très différents.»

Le deuxième paradoxe est lié à la maturité des cadres ESG. Ce que l’on constate, c’est que lorsque l’on demande aux organisations: «Quel est le degré de maturité de votre cadre ESG?», tout le monde répond qu’il s’agit d’un cadre pivot. Tout le monde répond qu’il est d’une importance cruciale pour nous dans l’entreprise. Seul un tiers d’entre elles affirment qu’il est mature, que ce soit en grande partie ou en totalité. On peut aussi considérer les choses sous un autre angle: deux tiers des répondants affirment que le cadre de contrôle est en cours ou qu’il gagne en maturité.

Il y a un paradoxe dans le sens où il y a beaucoup d’attrait lorsqu’il s’agit d’investisseurs ou de forces commerciales, indique M. Picone. «Il est en fait très puissant d’avoir des fonds qui comportent un élément ESG.»

«Lorsque l’on examine la réalité des cadres existants, le fait qu’un tiers de la population nous dise qu’ils sont matures et que deux tiers nous disent qu’ils sont en cours d’élaboration explique également pourquoi nous n’avons pas vu, pour l’instant, une ratification massive des opportunités ESG dans l’ensemble du spectre», déclare-t-il. «Les cadres de contrôle évoluent.»

«La prochaine vague sera celle de la maturation.» Les organisations gèrent également les attentes du côté commercial, «en essayant de ralentir un peu, ou de ne pas être trop pressant ou agressif lorsqu’il s’agit de la distribution de produits ESG, parce qu’en coulisses, vous avez besoin d’un cadre de contrôle très approprié pour combattre les risques d’écoblanchiment et d’autres choses de ce genre.»«Dans l’ensemble, le marché adopte une approche très prudente – je pense que c’est le message à retenir – en ce qui concerne le cadre de contrôle.»

Retrouvez l’intégralité du rapport KPMG Luxembourg Large-Scale ManCo & AIFM Survey 2023 .

Cet article a été publié pour la newsletter Delano Finance, la source hebdomadaire d’informations financières au Luxembourg. .