50 jours possibles de télétravail pour les frontaliers depuis ce 1er janvier. Manière de revendiquer qu’Indosuez Wealth Management se positionne à l’avant-garde sur les enjeux de work-life balance?
Christophe Ciré. – «Nous sommes dans un monde du travail aux prises avec une certaine tension post-crise sanitaire. Le turnover a été assez fort durant les années 2020, 2021 et 2022. Ce n’est pas propre à notre groupe, c’est le marché qui a évolué ainsi. Les départs se sont accélérés, les entrées aussi par conséquent, et ces dernières se sont faites avec des nouvelles générations ayant un rapport différent au travail. Sens du travail, équilibre vie privée-vie professionnelle, temps de transport… Il nous faut prendre en compte ces préoccupations chez nos salariés et également ceux de CA Indosuez Wealth (Asset Management) qui sont concernés.
L’attente de vos 500 collaborateurs, en incluant la branche Asset Management, se faisait pressante?
«Nous avons engagé la réflexion lors du troisième trimestre 2023, quelque temps après la signature de l’accord-cadre entre le Luxembourg et les pays frontaliers. L’effet d’annonce a fait que les salariés d’Indosuez, et d’ailleurs, se sont interrogés sur les apports de cet accord qui peut ouvrir jusqu’à 49,9% du temps de travail passé en télétravail dans son pays de résidence. Nous avons pris le temps d’investiguer la situation ainsi que celui de l’écoute, pour en arriver à la conclusion qu’il s’agit d’un bon levier en matière de marque employeur.
Et, au-delà d’attirer de nouveaux talents, un moyen de fidéliser nos équipes également. C’est un vrai signal en termes de confort de travail. De même que constituent un signal nos deux sites aux frontières, à Esch-Belval et à Windhof, ou les travaux de plusieurs mois prévus sur le site du Glacis, à Luxembourg-ville, où pour des raisons de rénovation énergétique et de nouvelles pratiques de flex-office nous allons recomposer l’ensemble du bâtiment.
Pourquoi ce chiffre de 50 jours? C’est le seuil des 34 jours qui aujourd’hui prévaut le plus couramment.
«Le chiffre ne résulte d’aucun hasard. Nous nous inscrivons dans la logique de l’accord-cadre, pas dans celle de l’élargissement fiscal. Cet accord dit que l’on peut passer à 49,9% de son temps de travail si l’on ne fait que du télétravail. Chez nous, il y a des collaborateurs qui ne font que du télétravail et qui pourraient donc aller jusqu’à une centaine de jours. Et d’autres qui font du télétravail, mais également des déplacements professionnels (meetings, rendez-vous clients…) dans leur pays de résidence ou dans d’autres pays, et qui pourraient aller jusqu’à une cinquantaine de jours. Soit deux populations distinctes à intégrer.
Dans une démarche d’harmonisation, nous avons choisi 50 jours pour tout le monde, soit moins de 25% du temps de travail conformément au règlement européen de sécurité sociale. Cela aura pour conséquence de dépasser la franchise fiscale de 34 jours, mais ce règlement permet de maintenir la sécurité sociale au Luxembourg à l’ensemble des salariés.
Nous sommes certains que les choses vont bien se passer à compter de la régularisation fiscale de 2025.
Quid de la franchise fiscale dès lors? Vos collaborateurs pourraient être pénalisés.
«Nous n’avons pas agi à l’aveugle. S’il y a eu adoption des 50 jours, c’est parce que nous sommes certains que les choses vont bien se passer à compter de la régularisation fiscale de 2025 pour l’année 2024. Nous avons pris le temps de rédiger soigneusement une foire aux questions afin de répondre à l’ensemble des interrogations des salariés. Entre la signature de l’accord-cadre en juillet et notre annonce du mois de décembre, nous avons travaillé, avec notre fiduciaire, sur la sécurisation de la régularisation de janvier 2025 et sur la préparation de cette Q & A, qui a amené à sonder spécialistes et fiscalistes. Nous avons veillé à bien communiquer pour faciliter la compréhension de chacun.
Dans les faits, quel sera le fonctionnement?
«Près de la moitié de nos 500 salariés pourraient être concernés. Dans l’organisation de leur temps de travail, ils auront le choix entre la présence sur notre site au Glacis, celle sur nos sites aux frontières, et le télétravail. Nous demandons un nombre minimum de jours de présence au Glacis pour les meetings, pour la cohésion sociale, et pour répondre aux attentes des clients. Mais c’est une souplesse supplémentaire.
Ces journées de présence obligatoire sont imposées?
«Les collaborateurs disposent d’une autonomie d’organisation, et les managers d’un droit de regard afin qu’il y ait une organisation optimisée et pertinente. L’idée n’est pas de vider les locaux.
En matière de management, précisément, s’agit-il d’une révolution de plus en ces temps de grands bouleversements au bureau?
«Le télétravail, c’est “juste” une autre façon de travailler, qui ne change rien à l’investissement et à la mobilisation au quotidien. En revanche, cela implique des méthodes de management peut-être différentes. La part de confiance est plus forte. C’est un élément sur lequel, là aussi, nous avons travaillé. Et sur lequel nous allons devoir continuer à travailler.
Qu’avez-vous appris depuis trois ans et demi que le télétravail a envahi les habitudes?
«Une chose très importante: chacun est responsable de son activité. Or la responsabilité, c’est le maître-mot, et cela permet de gagner en autonomie. Les pratiques se sont diffusées tout au long de ces trois années et demie. À distance, il y a peut-être un peu moins d’instantanéité mais il y a davantage de programmation. C’est une nouvelle manière de travailler et elle a aussi ses avantages.
Du côté des retombées concrètes espérées par l’employeur?
«Je l’ai dit, le télétravail constitue l’un des leviers de notre marque employeur. Mais ce seul levier ne fait pas tout. De même que la rémunération ne fait pas tout. Ce n’est pas que la rémunération, ce n’est pas que le télétravail, c’est un mix de plusieurs dispositifs. Mais lorsque vous assurez à un salarié qu’il a une souplesse avec le télétravail et avec la présence sur sites, lorsque vous réfléchissez à la manière d’améliorer la vie des futurs pères et des futures mères, ou lorsque vous êtes attentif à la progression du nombre de femmes dans les postes à responsabilités, vous présentez un projet humain, celui du groupe Crédit Agricole, qui est marqué et affirmé ici, au Luxembourg, chez Indosuez.
Profitons de cette première étape. Et tirons un bilan dans un an.
Sur le seul item du télétravail, le secteur bancaire a pourtant la réputation d’être de nature plutôt frileuse, non?
«Ce n’est pas mon ressenti. Avec les candidats, auparavant, nous parlions missions, job description, rémunération et éventuellement benefits. Aujourd’hui, nous parlons des conditions de travail. Le sujet arrive systématiquement sur la table. Que le secteur bancaire se coupe de ces pratiques-là, cela me paraîtrait compliqué. Sans omettre les particularités de chaque métier. Pour ceux en relation avec la clientèle, il est moins facile d’être en télétravail. Pour les fonctions support, il y a davantage de possibilités.
50 jours donc. Demain ou après-demain, ce sera encore plus?
«Connaissant les contraintes et les exigences que suppose, avec le transport par exemple, le fait de travailler au Luxembourg, nous souhaitons être précurseurs dans ce domaine. Il ne s’agit pas d’une fin en soi, mais d’un premier grand pas franchi par Indosuez. Si demain nous pouvons faire encore plus et que cela s’inscrit dans notre organisation, pourquoi pas? Mais profitons d’abord de cette première étape. Et tirons un bilan dans un an.
Vous allez être observés de près.
«Avec plus de 3.000 salariés, le groupe Crédit Agricole est le deuxième employeur de la place financière, Indosuez pèse aujourd’hui 500 salariés et plus de 800 à l’horizon 2025 avec l’intégration de Degroof Petercam, sous réserve de l’obtention des autorisations des autorités concernées, attendue en 2024: nous sommes en train de nous lancer, et les autres entités du groupe Crédit Agricole observent ce que l’on fait. Nous allons en quelque sorte servir de pilotes.
Vos concurrents aussi auront leurs antennes dressées. Si bien que ce qui est présenté aujourd’hui comme un avantage concurrentiel pourrait ne pas le rester indéfiniment.
«Peut-être. Certainement même. Mais cela montre que l’on n’attend pas de regarder ce que font les autres pour agir de notre côté. Nous avons une volonté d’engagement. Il y a cette phrase que j’aime à répéter: “Prenez soin de vos salariés, ils prendront soin de vos clients.”
Moralité? Merci le Covid?
«C’est malheureux à dire mais sans le Covid, nous n’en serions peut-être pas là. Nous avons gagné énormément de temps.»