Jean Muller est le patron des Moulins de Kleinbettingen. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Jean Muller est le patron des Moulins de Kleinbettingen. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Transmission, gestion quotidienne… Cet été, Paperjam vous emmène dans les coulisses d’entreprises familiales luxembourgeoises. Aux Moulins de Kleinbettingen, on est meuniers depuis 11 générations. Et chaque membre de la famille apporte sa touche personnelle.

En allemand, Müller signifie meunier. Pas étonnant que le patron des Moulins de Kleinbettingen s’appelle Jean Muller. Il appartient à une famille de meuniers depuis plus de 300 ans. «Nous avons cherché dans notre arbre généalogique», explique-t-il. Le plus ancien qu’ils ont trouvé, Philippe Bacchus, travaillait au moulin d’Altwies en 1704. «Depuis cette date, il y avait toujours un membre de la famille qui était meunier quelque part au Luxembourg.» C’est en 1921 que son arrière-grand-père, Edmond Muller, rachète, avec ses frères Joseph et Georges, les Moulins de Kleinbettingen aux familles Fribourg et Wagner. Et que naît officiellement l’entreprise familiale.

L’esprit d’entreprendre

«Je représente la 11e génération de meuniers et la quatrième des Moulins de Kleinbettingen», résume fièrement , depuis son bureau à Steinfort, entouré de paquets de pâtes et de farine. À deux pas duquel une dizaine de machines transforment bruyamment le blé en farine dans une grande pièce où règne une odeur qui rappelle celle des boulangeries au petit matin. «Je suis arrivé en 2010», rappelle-t-il. À l’époque, il travaillait dans la finance en Suisse. «Petit, en entendant mon père parler de son travail avec enthousiasme, je me suis dit que je voulais faire la même chose. Cela avait l’air génial, il rentrait heureux du boulot.» Il se souvient d’histoires d’agriculteurs dans les champs, de nouveaux clients ou projets.

Les doutes arrivent à la majorité. «Je suis parti dans une école de commerce en Suisse. Mes amis faisaient des stages dans des entreprises différentes et je me suis dit qu’il y avait tout un monde à découvrir.» Il choisit donc des stages dans le secteur financier. Après ses études, son père lui demande s’il souhaite rejoindre l’entreprise familiale. «J’ai dit qu’en tout cas, je voulais d’abord voir autre chose.» Cela durera trois ans. «Après, il est venu me voir parce que son bras droit partait à la retraite. J’ai demandé un temps de réflexion, je me plaisais bien en Suisse et j’avais en tête de faire cela encore deux ans. Il m’a dit que c’était le moment, car s’il engageait quelqu’un, il n’y aurait peut-être plus la place pour moi.» Jean Muller accepte donc. «Dix ans après, je n’ai jamais regretté», assure-t-il. «C’était la décision du cœur.»

D’abord adjoint à la direction, il part se former plusieurs mois en meunerie. Puis il prend la direction des Moulins en 2014. «La transmission s’est très bien passée, mon père m’a vite fait confiance. Il est toujours là pour me donner un bon conseil.»

Dix ans après, je n’ai jamais regretté.
Jean Muller

Jean MullerdirecteurMoulins de Kleinbettingen

S’il n’avait pas repris l’entreprise, qui compte aujourd’hui 75 salariés et réalise un chiffre d’affaires annuel de 55 millions d’euros, il aurait continué à travailler en Suisse. «Je pense que j’ai toujours eu une âme d’entrepreneur, et que j’aurais essayé, à un moment de ma vie, de monter ma propre entreprise. Dans quel domaine, je ne sais pas», complète-t-il.

La sœur au four, le frère au moulin

Ses deux sœurs ont choisi une voie différente, mais pas trop. La plus jeune a monté son entreprise… avec son mari, dans le domaine du service traiteur. L’aînée, , dirige la boulangerie familiale Fischer, dans laquelle les Moulins de Kleinbettingen . «Notre père ne nous a jamais dédiés à l’entreprise», précise son cadet de 39 ans. «Il a dit: ‘Faites vos études, si un jour vous êtes intéressés, on verra si vous avez les compétences et s’il y a la place dans l’entreprise.’ Cela aurait aussi bien pu être le cas de mes sœurs. Mon père n’avait pas de préférence entre une fille ou un garçon.»

Même s’il n’y a que lui qui travaille encore dans l’entreprise, l’actionnariat se partage plus largement. «Ce sont quatre générations, donc il y a des enfants, des cousins… Chacun est libre, mais en général, on fait don de ses parts de son vivant, ou elles reviennent aux enfants lors du décès. Il y a aussi eu des rachats. Aujourd’hui, la famille Muller, au sens large, est l’actionnaire fort», explique-t-il, sans donner le détail.

La future génération reste pour l’instant discrète. «J’ai deux fils, de deux ans et demi et de six mois», sourit Jean Muller. «Je pense que dans les enfants de mes cousins, il n’y a personne qui a directement manifesté sa volonté de travailler dans l’entreprise, mais ce sont des choses qui peuvent changer. Moi, je ne m’étais pas positionné jusqu’au moment où on me l’a demandé. Souvent, un besoin concret entraîne une discussion en famille où on demande: ‘Ton fils ou ta fille ne seraient-ils pas intéressés?’» En tout cas, «moi comme mes sœurs, nous ne voulons pas vouer les enfants à faire quelque chose que nous déterminons seuls».

Sa pâte, la viande

La pérennité de l’entreprise pourrait contribuer à se reposer sur ses lauriers. C’est loin d’être le cas. «L’historique de notre entreprise, c’est de toujours se renouveler. Dans les années 60, nous vendions surtout des aliments pour le bétail. Cela a changé dans les années 90, où nous avons commencé à faire de la semoule pour les pâtes alimentaires, qui représente aujourd’hui 50% de notre métier.»

Depuis l’arrivée de Jean Muller, les Moulins ont développé de nouvelles marques de farine, spécifiques aux pizzas, par exemple, ou de pâtes faites de matières premières 100% luxembourgeoises. D’ici la fin d’année, le directeur veut lancer une production de viande végétale. Le chantier à l’entrée du site laisse deviner le futur hall. Qui accueillera une machine pour transformer les poudres de plantes en viande à base de protéine végétale. Celle-ci pourra servir à remplir des tortellinis, voire à faire des steaks végétariens. «Nous allons voir quels produits nous allons produire exactement.» Il est inspiré par les tendances du marché, mais peut-être aussi par sa compagne, qui travaillait, avant son congé maternité, dans des restaurants proposant de la nourriture végane.

«Quand on travaille dans une entreprise familiale, on pense en générations, et pas en trimestres. Les investissements que nous faisons, nous les faisons aussi pour la prochaine génération.» Reste donc à savoir à qui profiteront ces 10 millions d’euros, tout récemment investis.