Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Blitz Agency 2019)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Blitz Agency 2019)

Pour clôturer l’année, Paperjam a demandé aux contributeurs de la chronique hebdomadaire des chefs économistes quels seraient les trois thèmes centraux pour 2023. Voici aujourd’hui l’avis d’Alexandre Gauthy.

En 2022, la réaction des banques centrales face à la montée de l’inflation a dicté la performance des marchés. L’ascension des taux longs, qui reflètent les attentes du marché sur l’évolution future des taux courts, a été le principal élément explicatif de la performance négative des actions. Si jusqu’à présent, les marchés ont été globalement insensibles à la dégradation des perspectives économiques, 2023 devrait être influencée dans une plus grande mesure par l’évolution des bénéfices des sociétés, eux-mêmes fonction du contexte macroéconomique.

L’inflation et la politique monétaire continueront bien sûr de jouer un rôle sur la performance des bourses en 2023, mais probablement moins qu’en 2022. En effet, la baisse de l’inflation et le «pivot» des banques centrales sont déjà anticipés par les marchés.

 Santé du consommateur et soutenabilité des bénéfices des sociétés

Jusqu’à présent, la consommation dans le monde développé a plutôt bien résisté compte tenu de la perte de pouvoir d’achat des ménages qui résulte de la hausse de l’inflation. Aux États-Unis, depuis mi-2021, les dépenses privées ont continué de croître, alors que les revenus après inflation ont diminué. Cela a été rendu possible par la baisse du taux d’épargne et l’utilisation d’une partie de l’épargne excédentaire qui avait été accumulée durant la pandémie. La hausse significative de l’encours des cartes de crédit aux États-Unis témoigne également d’une certaine fragilité dans le chef des ménages.

En zone euro, la perte de pouvoir d’achat est de l’ordre de 3%, et ce, après avoir tenu compte des aides gouvernementales envers les ménages. Ce chiffre est pire qu’en 2008 et qu’en 2012 lorsque la crise de la dette souveraine frappa la zone euro. Or, ce sont les revenus ajustés par l’inflation qui sont le déterminant principal de la croissance de la consommation. La stimulation excessive de l’économie américaine en 2020 et 2021 explique la reprise rapide de l’activité économique post-Covid et la hausse de l’inflation qui s’ensuivit.

Cette stimulation fiscale et monétaire a entraîné une période de surconsommation, qui a elle-même résulté en une augmentation importante des marges bénéficiaires des entreprises et des bénéfices des sociétés. 2022 a marqué l’arrêt de la stimulation monétaire et fiscale. Il est donc fort probable que l’on assiste à une normalisation des dépenses des ménages, des bénéfices des sociétés et aussi des marges bénéficiaires dans les trimestres à venir.

L’histoire nous enseigne que toute période d’excès est suivie d’une période de retour à la normale. Face à cette normalisation à venir, les analystes actions restent encore trop optimistes, basant leurs projections de bénéfices futurs des sociétés sur les bénéfices probablement non récurrents de ces 2 dernières années.

La géopolitique

 Les tensions géopolitiques pourraient conduire à de nouveaux chocs en 2023. Elles restent omniprésentes. La guerre en Ukraine s’enlise et les Occidentaux continuent de fournir des armes lourdes à l’Ukraine. Il est difficile d’imaginer à ce jour une détente dans le conflit, les objectifs des Ukrainiens étant incompatibles avec ceux du président russe. En 2022, les Russes ont réduit leurs exportations de gaz vers l’Europe, aggravant une crise énergétique sur le vieux continent. En réponse à la décision du G7 de limiter le prix de vente du pétrole en provenance de Russie, les Russes songent à réduire leur production de pétrole, ce qui ferait augmenter le prix du baril, toute autre chose étant égale par ailleurs.

Les risques géopolitiques ne sont pas seulement confinés à l’Ukraine: le contexte géopolitique pourrait également se dégrader en ce qui concerne l’Iran, la Corée du Nord et Taiwan. Ensuite, les tensions commerciales ont réapparu fin 2022 sur deux fronts. Premièrement, les États-Unis ont escaladé la guerre technologique avec la Chine, en restreignant les exportations de semi-conducteurs et équipements vers la Chine. Deuxièmement, les quelque 400 milliards de dollars de subsides américains aux entreprises et aux ménages qui investissent dans la transition énergétique sont également une source de tensions avec l’Union européenne.

Enfin, le risque de fragmentation pourrait réapparaître en Europe, dû au manque de coordination et de solidarité sur les réponses à la crise énergétique, à l’augmentation du coût de la dette qui réduit la marge de manœuvre des pays les plus endettés, ainsi qu’au nouveau gouvernement italien qui a déjà suscité des mécontentements sur sa politique migratoire.

La situation en Chine

La Chine pourrait bien être la bonne nouvelle de 2023. Après 2 ans et demi de politique stricte envers l’épidémie, le gouvernement chinois a finalement levé de manière brutale et inattendue la plupart des mesures de restriction en place. Cette décision risque de se révéler douloureuse à court terme dans un pays où l’immunité collective est encore loin d’être atteinte, mais sera sans doute bénéfique à moyen terme. En effet, une fois la vague actuelle d’infections passée, la croissance économique chinoise devrait rebondir dans le courant de l’année, en particulier dans le secteur des services. Cette reprise économique cyclique sera également aidée par les mesures prises par le gouvernement en vue de soutenir le secteur immobilier. N’oublions pas non plus qu’à la différence des pays développés, la Chine ne connaît pas de problème d’inflation. Par conséquent, la banque centrale pourrait continuer son cycle de baisse de taux afin de redynamiser l’activité économique. Toutefois, toute baisse de taux devrait être limitée, les autorités chinoises étant réticentes à accroître le problème d’endettement du pays.

Enfin, la hausse rapide des taux d’intérêt pourrait mettre en lumière des fragilités dans un monde où l’endettement a fortement augmenté. Certains acteurs économiques risquent de se trouver en difficulté de refinancement et même de solvabilité. Il pourrait s’agir de pays émergents, de détenteurs immobiliers ayant contracté des prêts à taux variables, ou bien des sociétés dont la continuité des opérations n’était rendue possible jusqu’alors que par la faiblesse des taux d’intérêt.