Le choléra était une maladie redoutée au 19e siècle. En 1832, elle tue 19.000 personnes en France en 6 mois. (Visuel: DR) 

Le choléra était une maladie redoutée au 19e siècle. En 1832, elle tue 19.000 personnes en France en 6 mois. (Visuel: DR) 

Le Covid-19 n’est pas la première épidémie à sévir au Luxembourg. Peste, choléra, variole et grippe y ont aussi fait des ravages au cours des siècles passés.

Avec 119 personnes décédées et plus de 7.000 qui ont été testées comme étant positives depuis la fin du mois de février, la pandémie de Covid-19 n’épargne pas le Luxembourg. Qui met, comme ses voisins, tout en œuvre pour juguler la propagation du virus.

Mais ce n’est pas la première fois que le pays est aux prises avec une épidémie. Les siècles passés en ont vu aussi sévir de nombreuses, entraînant leur lot de victimes. «On évoque souvent les grands épisodes de peste de 1668, puis de 1720 à Marseille», explique Edouard Kayser, professeur en retraite qui a étudié et publié au sujet du phénomène épidémique dans le Duché de Luxembourg au cours de la seconde partie du 18e siècle.

Edouard M. Kayser, «Gouvernants et gouvernés face aux épidémies dans le Luxembourg au XVIIIe siècle»; vol. XCI de la coll. «Anciens Pays et Assemblées d’États/Standen en Landen»; B – Kortrijk-Heule (éd. U.G.A.), 1990. (Photo: Edouard M. Kayser)

Edouard M. Kayser, «Gouvernants et gouvernés face aux épidémies dans le Luxembourg au XVIIIe siècle»; vol. XCI de la coll. «Anciens Pays et Assemblées d’États/Standen en Landen»; B – Kortrijk-Heule (éd. U.G.A.), 1990. (Photo: Edouard M. Kayser)

La peste au Luxembourg en 1630

En 1630, la maladie passe déjà les portes de la forteresse de Luxembourg et tue 3.000 personnes. Elle frappera encore lourdement en 1636.

«La peste disparaît de nos régions aux alentours de 1670», note Edouard Kayser. Mais d’autres maladies vont s’y substituer et connaître, de loin en loin, des pics. «Il s’agit de la dysenterie, de la variole, du typhus… au 18e siècle, puis du choléra au 19e», pointe Edouard Kayser.

Il faut cependant remettre ces épisodes dans leur contexte respectif.

Géographique, tout d’abord. «Le Duché est alors beaucoup plus vaste que notre pays, à savoir le Grand-Duché actuel, puisqu’il englobe alors également, au sein des Pays-Bas alors ‘autrichiens’, presque toute la province du Luxembourg belge, une partie de la province de Liège et de l’Eifel, ainsi que pratiquement toute la rive droite de la Moselle en amont de Trèves», poursuit M. Kayser.

Sociologique, ensuite: «Sur ce vaste territoire, on ne compte vers 1770 qu’une trentaine de médecins, une douzaine d’apothicaires fixés exclusivement dans les rares villes ou bourgs, environ 70 chirurgiens de formation purement artisanale et aucun hôpital digne de ce nom. La population est rurale: seulement 4% des gens vivent en ville. L’écrasante majorité des Luxembourgeois vit dans des chaumières exiguës, malsaines, car rarement ventilées, peu lumineuses, avec souvent un tas de fumier devant la porte qui empeste l’air et contribue souvent à polluer l’eau. J’ai passé près de 40 ans de ma vie à expliquer cela à mes étudiants. Cela ne fait jamais que sept générations, mais ils avaient beaucoup de mal à comprendre ou admettre cela, eux qui vivent souvent dans de jolies maisons et dont les parents ont de grosses berlines allemandes garées devant», détaille encore Edouard Kayser.

On relève une épidémie à Marche-en-Famenne en 1762, puis une autre qui survient en 1770 à Habay-la-Neuve, non loin du Luxembourg actuel. Cette dernière, de nature inconnue comme la précédente, «enlève une grande partie de la population».

Une première ébauche de politique sanitaire

Au cours des deux premiers mois de 1779, une épidémie, là aussi de nature inconnue, frappe Wiltz. Selon un magistrat du lieu, on comptera 70 morts. Au cours de la seconde partie de cette même année, une épidémie de dysenterie bacillaire se répand à la suite du passage de troupes de retour d’Allemagne après les combats entre l’Autriche et la Prusse au sujet de la succession de Bavière. Le bilan sera heureusement bien moins lourd dans le duché que dans d’autres provinces des Pays-Bas autrichiens, mais on aura quand même environ 1.300 malades rien que du côté de La Roche-en-Ardenne et de Marche-en-Famenne, dont une centaine décéderont; et l’on sait, sans hélas disposer de chiffres, qu’il y eut aussi des malades et des morts à Saint-Hubert, à Durbuy, à Houffalize, à Bastogne et dans les villages situés entre Arlon, Martelange, Mersch et Luxembourg.

À l’automne 1780, cependant, suite à un nouvel été très chaud et à de mauvaises récoltes, on assiste à une résurgence de la dysenterie à Hautcharage et à Bascharage, dans les villages autour de Mondorf, à Clausen, dans une douzaine de localités situées entre Luxembourg et Mersch, dans «la partie du Luxembourg qui touche au pays de Liège» ainsi qu’à Grandvoir, près de Neufchâteau. Finalement, on ne déplore qu’un seul mort, «ce qui est dû notamment au fait que l’épidémie de 1779 avait donné naissance à une première ébauche de politique sanitaire consistant essentiellement en imprimés prophylactiques envoyés aux rares médecins, voire aux curés des lieux concernés. Bref, la leçon de 1779 avait été retenue», note Edouard Kayser.

L’épidémie de dysenterie la plus sérieuse en 1781

L’histoire se répète en 1781 avec une épidémie de dysenterie qui sévit de la première quinzaine d’août à la mi-octobre. Tout le pays est touché, ou presque. Et une fièvre typhoïde vient aggraver la situation en de nombreux endroits. On compte 300 malades rien qu’à Luxembourg-ville (pour 8.000 habitants, hors garnison), mais il y a des morts, surtout dans les campagnes (110, par exemple, dans les seuls environs de Vielsalm, dans le nord du duché). Il s’agira là de l’épidémie la plus sérieuse dans le duché sous l’Ancien Régime. D’une manière générale, ce sont les pauvres, surtout dans les zones dépourvues de médecins, qui pâtissent le plus des flambées épidémiques. Le manque d’hygiène n’y est évidemment pas étranger…

Au début de l’année 1784, c’est la fièvre typhoïde qui sévit à Remich, Mondorf, Altwies, Heisdorf… Avant que la dysenterie ne revienne une fois de plus avec les chaleurs de l’été, comme cela sera encore le cas durant plusieurs années, de manière récurrente.

Des fermetures de frontières, des interdictions de circulation ou des mises à l’isolement de malades avaient déjà, à l’occasion et dès le 17 e  siècle, pu être ordonnées par les autorités civiles…

Edouard Kayserhistorien

En 1792, après la bataille de Valmy, des éléments de l’armée austro-prussienne battant en retraite apportent avec eux une forme de diarrhée sanglante en divers endroits du Luxembourg, dont Weimerskirch, aux portes de la forteresse. Des centaines de soldats en meurent, mais aussi des gens du lieu. Pendant l’hiver suivant, une «fièvre catarrhale maligne» frappera aussi le Luxembourg et y fera «des ravages extraordinaires».

Plus que les seules épidémies, ce sont les réactions face à celles-ci qui ont intéressé Edouard Kayser: «Il est intéressant de voir quels sont les réflexes sociaux, les dispositions prises, comment les informations locales sont relayées vers Luxembourg, Bruxelles ou Vienne, comment fonctionne l’administration en situation d’urgence… Mais on constate aussi cette très grande inertie dans les zones rurales, là où le curé est généralement le premier recours, où des charlatans prétendent soigner les gens et où, face à une maladie sérieuse, les mesures préconisées sont la prière ou des processions en l’honneur de St Roch ou St Sébastien…» Cela dit, des fermetures de frontières, des interdictions de circulation ou des mises à l’isolement de malades avaient déjà, à l’occasion et dès le 17e siècle, pu être ordonnées par les autorités civiles…

En 1866, la maladie a tué 8% de la la population de Diekirch

Le Luxembourg, au 19e siècle, va être soumis comme le restant de l’Europe aux affres de deux maladies.

La variole, tout d’abord. La vaccination est introduite dès les premières années du siècle. Napoléon veut la généraliser, notamment parmi ses troupes. En ce qui concerne le département des Forêts, un décret est publié en 1814 prescrivant la vaccination des enfants au cours des trois premiers mois après leur naissance. La maladie est redoutée, la consigne est donc bien suivie: 517 enfants sont vaccinés en 1815, mais déjà 1.672 en 1816, apprend-on à la lecture du cours d’histoire du médecin de Jos Massard pour le Centre universitaire de Luxembourg.

En 1826, une épidémie frappe le territoire de l’actuel Luxembourg. On compte 1.500 malades, 150 morts et 123 défigurés.

En 1870-1871, nouvelle épidémie avec 36 morts dans la seule petite commune de Garnich. Avec 200 décès, le Luxembourg est relativement épargné. La France déplorera 200.000 décès au même moment, du même mal.

Rebelote en 1880 et 1882. Vianden compte 1.400 habitants et en voit 40 mourir de la variole. Esch (6.000 habitants) comptera 250 malades dont 50 vont décéder, soit un taux de mortalité de 20%!

Le choléra, ensuite. L’épidémie de 1866 emporte 8% des habitants de Diekirch et tue 400 personnes à Luxembourg-ville.

La maladie revient en 1849 et fait à nouveau de nombreuses victimes, dans plusieurs communes. Le mois de septembre est à ce point meurtrier qu’il devient un «septembre noir».

La maladie refait un retour en force en 1865-1866 et va tuer 3.546 personnes. Les districts les plus touchés sont, selon un article de Jos Massard, «Der Kanton Esch und die Cholera 1865/1866», publié dans la revue Galerie:

- Luxembourg: 1.718 morts pour 72.821 habitants, soit 2,36% de la population;

- Grevenmacher: 1.080 morts pour 44.582 habitants;

- Diekirch: 613 morts pour 44.778 habitants.

Des mesures strictes face à la grippe espagnole

Le 14 octobre 1918, l’épidémie de grippe espagnole est officiellement au Luxembourg. Des mesures strictes sont prises: fermeture des écoles, théâtres, salles de danse… Pas toujours avec succès, comme le relate l’historien Denis Scuto dans un article du Tageblatt.

Si les chiffres de cette épidémie terrible sont sujets à débat, on estime en général que la grippe espagnole va tuer au moins 50 millions de personnes. Combien au Luxembourg? Les chiffres ne sont pas connus, relate encore Denis Scuto. Mais, analyse-t-il, le nombre de décès dans le pays en 1918 est le plus élevé des années de guerre: 5.611 morts, soit 1.000 de plus qu’en 1918, et qu’en 1919.

Les épidémies de grippe asiatique en 1957, de Hong Kong en 1962 puis le Sars en 2002 seront bien plus bénignes, tant au niveau local qu’à l’échelle mondiale.