Tant qu’un texte de loi n’a pas été voté en Belgique, le seuil légal de télétravail reste fixé à 24 jours, même si un accord a été conclu pour 34 jours. Même si une grande souplesse a été demandée à l’administration fiscale. (Photo: Shutterstock)

Tant qu’un texte de loi n’a pas été voté en Belgique, le seuil légal de télétravail reste fixé à 24 jours, même si un accord a été conclu pour 34 jours. Même si une grande souplesse a été demandée à l’administration fiscale. (Photo: Shutterstock)

Belgique et Luxembourg ont trouvé un accord pour porter à 34 le nombre de jours de télétravail par an autorisés pour les frontaliers belges. Mais aucun avant-projet de loi n’a encore été déposé à Bruxelles. Ce qui de facto fait que le seuil des 24 jours reste d’application.

D’un côté, il y a un bon élève: le Luxembourg. sans devenir imposable dans son pays de résidence, le projet de loi officialisant cet accord a été voté en mai 2022, avec effet rétroactif au 1er janvier.

De l’autre côté, il y a un mauvais élève: la Belgique. En effet, alors que les mois passent, rien n’a encore été voté à la Chambre à Bruxelles. Pire: aucun avant-projet de loi ne semble même en cours de rédaction. Le cancre n’en est pas à sa première incartade . Dans l’intervalle, une kyrielle d’employés frontaliers belges avait été contrôlés par l’administration fiscale.


Lire aussi


Benoît Piedboeuf, député et chef de groupe MR à la Chambre, très à la pointe dans le domaine du télétravail, maintient que «le seuil est bien de 34 jours.» «L’accord est clair.» Mais il concède aussi «qu’il faudrait une loi au plus vite, en effet, même si l’injonction faite à l’administration fiscale est de ne pas faire preuve d’excès de zèle. On travaille d’ailleurs déjà sur une possibilité de monter le quota à 48 jours». Un autre interlocuteur se montre moins optimiste et souligne «que l’administration fiscale dispose d’une certaine indépendance et se réfère au texte. À ses yeux, l’accord de 34 jours entre les deux pays ne vaut rien puisqu’il n’a pas été voté en Belgique, n’a pas été publié officiellement… Aucune juridiction ne donnerait sans doute raison à un contribuable qui invoquerait ces 34 jours puisque ce quota n’a aucune base légale.»

Marie*, une employée frontalière, a d’ailleurs commencé à s’inquiéter de cette situation. «J’ai anticipé et contacté l’administration fiscale belge qui m’a confirmé que le texte existant faisait état de 24 jours», dit-elle, sollicitée par Paperjam. «Que vont mettre les employeurs sur les fiches de salaires en fin d’année? Il y a une grande incertitude. Et en matière fiscale, l’incertitude réserve souvent de mauvaises surprises.»

Sur la Place financière, on a en tout cas bien pris conscience du problème. Et on marche donc sur des œufs. «Nous sommes conscients que le rehaussement du seuil de tolérance à 34 jours en Belgique n’est pas encore formellement adopté par les instances législatives en Belgique, créant ainsi une incertitude juridique au détriment des résidents belges. Ceci étant, nous avons mis en place chez BDO Luxembourg un système de flexibilité particulièrement généreux, permettant notamment aux collaborateurs résidents en Belgique de dépasser le seuil de tolérance fiscale avec la possibilité de télétravailler jusqu’à un jour par semaine, en plus de la possibilité de recourir à un de nos hubs proche des frontières. Ainsi, les collaborateurs peuvent décider, en toute liberté, s’ils veulent ou non bénéficier du télétravail au-delà du seuil de tolérance fiscale – en tenant compte aussi de leur situation fiscale personnelle», explique , People Partner chez BDO.

Éviter un recours de l’employé envers l’employeur

Charge donc à l’employé de respecter son quota de jours, soit 24, ou bien de devoir assumer une imposition en Belgique en cas de dépassement. «Il y a un rétropédalage en cours, c’est très clair et cela fait grincer des dents. De plus en plus d’institutions de la Place ne veulent plus mettre 34 jours par écrit, dans les contrats de travail ou dans des avenants. Ce serait ouvrir la porte à un recours de l’employé contre son employeur en cas de redressement fiscal», note un observateur.

De fait, l’ALEBA, principal syndicat du secteur financier, ne communique désormais plus non plus sur 34 jours. «La consigne est d’évoquer 24 jours, tout en mettant entre parenthèses qu’un accord non encore voté par la Belgique a été trouvé mais est donc encore non légal», confirme son président, .

Mes collègues frontaliers sont empêchés de travailler et moi qui suis résident on m’invite à rester chez moi… C’est tout de même incroyable.
Roberto Mendolia

Roberto MendoliaprésidentALEBA

Ce dernier rappelle «qu’en tant que syndicat, nos leviers sur la législation télétravail sont limités. Selon moi, la première chose est de trouver un accord européen dans le domaine de la sécurité sociale et revoir à la hausse cette limitation à 25% du temps de travail avant de retomber sous le régime de sécurité sociale de son pays. Ensuite, des accords fiscaux seront plus faciles à trouver entre les pays. En étant d’accord pour dire que, dans le cas du Luxembourg, il faudrait une harmonisation entre Belgique, Allemagne et France. Mais il faut cesser les inepties. Mes collègues frontaliers sont empêchés de travailler et moi qui suis résident on m’invite à rester chez moi… C’est tout de même incroyable.»

Le président de l’ALEBA devine même d’autres problèmes bien plus sérieux si rien n’est fait rapidement. «Il y a en effet des risques opérationnels qui se dessinent. Notamment en ce qui concerne les fonctions de support, alors que, dans la plupart des services IT, la moitié des équipes au moins sont frontalières. Ils sont rares ceux qui sont encore d’accord d’être de garde à la maison et de peut-être devoir ouvrir leur PC, car alors leur journée pleine est considérée comme une journée de télétravail. Dans la société où je travaille, si un serveur est planté et que personne ne le relance pendant plusieurs heures, les pertes financières peuvent être très importantes. Autre exemple: des frontaliers qui effectuaient auparavant des missions régulières hors Luxembourg – à Francfort, par exemple – ne le veulent plus, car cela peut être aussi considéré comme une journée de télétravail», met en avant Roberto Mendolia.

En ce qui concerne les frontaliers belges, tous ces problèmes devraient être évoqués à l’automne avec le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), qui sera en visite de travail au Luxembourg.

* le prénom a été volontairement modifié par souci d’anonymat.