Pas vraiment une obligation, plutôt une orientation à suivre. Assortie tout de même d’un devoir à rendre. Dans une directive publiée au Journal officiel en octobre 2022, texte dont la porte d’entrée consiste en la défense de salaires minimaux «adéquats» au sein de l’UE, le Parlement et le Conseil fixent à 80% de salariés le taux souhaitable de couverture des conventions collectives au sein des États membres. 80% au moins. Les pays se situant en dessous de ce chiffre sont invités à «adopter des mesures en vue d’améliorer ces négociations collectives», via un plan d’action. Ils ont jusqu’au 15 novembre pour boucler leurs travaux et présenter leur copie.
Le Luxembourg est directement dans le viseur avec un taux de couverture de 59%, selon les données du Statec. Des données loin d’être de première fraîcheur (elles datent de… 2010, aucune étude n’ayant été menée depuis), mais qui n’ont pas enregistré d’évolution significative ces dernières années. En 2023, à peine 12 conventions collectives ont été déposées auprès de l’Inspection du travail et des mines (ITM), toutes des conventions collectives d’entreprise (contre 70 en 2022 et 63 en 2021). L’analyse au global fait apparaître des différentiels notables en fonction de la typologie des sociétés. Quand moins d’un tiers (30%) de celles comprises entre 10 et 49 salariés disposent d’une convention collective, la jauge atteint 79% pour les entreprises de plus de 1.000 salariés et franchit les 70% dans la tranche 250-999 employés.
Nous demandons depuis très longtemps une réforme de cette loi.
Même grand écart acrobatique si l’on entre dans le détail des domaines d’activité. «Le secteur de l’horeca (13%) et les activités spécialisées, scientifiques et techniques (13%) ont des taux de couverture relativement faibles», pointe le Statec. À l’autre extrémité, la santé et l’action sociale (87%) et les services administratifs dits «de soutien» (gardiennage, nettoyage, prêt de main-d’œuvre…), à hauteur de 78%, sont parmi les mieux pourvus. À noter qu’en omettant délibérément l’administration publique (100%) et l’enseignement public (pas loin de 90%), le taux moyen général de 59% tombe à 55% dans le pays.
L’engagement de l’accord de coalition
Du côté syndical, c’est une revendication de longue date. «Nous avons dans le Code du travail une loi qui régit la négociation collective. Mais cette loi est trop ancienne, elle ne correspond plus à la réalité du tissu économique luxembourgeois», analyse la présidente de l’OGBL et de la Chambre des salariés (CSL), . «Aujourd’hui, on a une multitude d’entreprises de petite et moyenne tailles, nous devons avoir plus de moyens pour négocier des conventions sectorielles. Nous demandons depuis très longtemps une réforme de cette loi. Cela avait été promis dans le programme de coalition du précédent gouvernement. Cela ne s’est pas concrétisé du fait du Covid et des conséquences que vous connaissez.»
Aucune mention à la directive européenne ne figure dans l’accord de coalition signé il y a quelques semaines entre le CSV et le DP. Toutefois, le sujet n’est pas ignoré. «Les dispositions légales relatives aux conventions collectives seront révisées, entre autres, afin de permettre une réorganisation du travail et une amélioration des conditions de travail, notamment en ce qui concerne la conciliation entre vie privée et vie professionnelle», assure la feuille de route gouvernementale. «L’objectif sera de faciliter les accords entre employeurs et salariés tout en garantissant que ces discussions se déroulent sur un pied d’égalité. Dans cette optique, les instruments du dialogue social seront réformés et améliorés.»
Pour l’Horesca, c’est niet
Selon Nora Back, deux branches sont en tête de liste des priorités. D’une part, le commerce. «Il y a une multitude de petits commerces de détail où les gens évoluent dans des conditions difficiles. On [les syndicats] ne peut pas aller dans 3.000 magasins, ce n’est pas possible. Certes, il n’y a rien de commun entre H&M et une petite boutique de trois employés, mais il y a quand moyen d’avoir, premièrement, une convention collective, et ensuite des accords par entreprise. Cela existe dans d’autres secteurs comme les soins, le nettoyage ou la construction.»
Autre secteur objet d’attentions, l’hôtellerie-restauration. «Un grand chantier», d’après Nora Back. «C’est compliqué pour nous, car il faut au minimum 15 salariés pour avoir une délégation du personnel. Et sans délégation, c’est difficile de négocier. D’autant qu’il s’agit de salariés qui changent beaucoup d’employeurs. Les patrons se plaignent de la perte de salariés depuis le Covid et du turn-over. Ce serait aussi dans leur intérêt.» Dans une note de mars 2023, la CSL retenait que commerce et horeca «sont aussi les deux secteurs avec le plus grand risque de SSM au Luxembourg».
Moi, je ne signerai pas.
«Je comprends que dans d’autres secteurs on le fasse, mais une convention n’est pas possible dans le nôtre», répond du tac au tac le patron de l’Horesca, Alain Rix. «C’est un projet européen, c’est devant la porte, à moins que l’on ait un lobbyiste là-bas [au sein des institutions européennes] qui voit que ce n’est pas possible. Mais si jamais ça vient, on se battra. Moi, je ne signerai pas. Cela va nous coûter encore plus cher, et le client ne veut pas payer», étaye le dirigeant.
L’UEL souhaite une «contrepartie»
«Le Luxembourg a la meilleure convention collective: son droit du travail, qui est déjà tellement rigide et tellement en faveur des salariés, avec un salaire minimum très supérieur à ce qu’il est dans les autres pays», argumente de son côté le directeur de l’UEL, , en phase. Selon lui, les dés sont pipés; et tant qu’ils le seront, toute discussion sera empêchée. «Une convention collective, c’est un compromis: on donne quelque chose et l’on reçoit quelque chose en contrepartie. Par exemple, on donne plus d’argent [aux salariés] et en retour, en tant qu’entreprise, on reçoit plus de flexibilité quant aux heures de travail. Mais au Luxembourg, ce n’est pas possible: aucune clause dans une convention collective ne peut être moins favorable [aux salariés] que ce que prévoit déjà la loi. Du coup, l’entreprise n’a rien à gagner, elle ne peut être que dans l’enchérissement: donner plus, mais ne rien recevoir. Si nous voulons avoir une ouverture sur les conventions collectives, il faut également créer les conditions de négociations où, sur la flexibilité du temps de travail ou sur le travail dominical, l’employeur peut attendre quelque chose», reprend Jean-Paul Olinger.
Une convention collective, c’est un compromis: on donne et on reçoit.
Le Luxembourg «n’a pas à rougir de ses performances», avait du reste réagi l’UEL dans les jours suivant la directive, estimant qu’«il n’y a pas lieu de promouvoir artificiellement un modèle qui ne rencontrerait pas les attentes et besoins du terrain». Au contraire, il faudrait «tenir compte de la structure économique du Luxembourg qui repose sur des métiers relativement intellectuels et des entreprises de petites tailles (98% de moins de 50 salariés)». «Discuter une convention collective quand on a 7 ou 8 salariés, ce n’est pas évident», constate Jean-Paul Olinger.
Par parenthèse, le texte présenté aux Vingt-Sept porte la signature d’un Luxembourgeois, en l’occurrence (LSAP), commissaire européen en charge de l’emploi et des droits sociaux depuis 2019 et ex-ministre du Travail de , entre 2013 et 2018.
L’enjeu de l’attractivité
«Une personne travaillant dans une entreprise sans convention collective peut rester toute sa vie au salaire social minimum, il n’y aura pas d’autre avancement que l’index», souligne encore Nora Back, pour qui il s’agit d’un «facteur d’attractivité pour l’économie». «Si les salaires et les conditions de travail ne sont pas attractifs, les frontaliers n’auront plus intérêt à venir travailler chez nous», croit la syndicaliste.
Sur la question, le Statec pointe des différences de couverture entre les résidents (62%) et les autres, mais elles ne sont pas si marquées puisque 58% des salariés français du Grand-Duché sont concernés par une convention collective, ainsi que 54% des travailleurs allemands et 51% des ressortissants belges. Et d’autant moins prononcées qu’en retranchant à nouveau l’administration publique et l’enseignement public, «le taux de couverture des travailleurs tombe à 55%», indique l’institut de statistiques.
«Tous les efforts seront mis en œuvre»
Pour le ministère du Travail, qui «ne peut que saluer un texte qui vise à lutter contre la pauvreté au travail, à promouvoir de bonnes conditions de vie et de travail, à favoriser le dialogue social et à augmenter le taux de couverture des conventions collectives», «le seuil de 80% est plutôt à considérer comme un indicateur entraînant un certain nombre d’obligations. Il est assuré que tous les efforts possibles seront mis en œuvre [au niveau du gouvernement] pour se rapprocher de cet objectif ambitieux.»
«Il nous importe de créer un cadre offrant des conditions propices à la tenue de négociations collectives, que nous entendons promouvoir par tous les moyens. Il va sans dire que, dans le cadre de la transposition de la directive en droit national, les partenaires sociaux seront consultés et auront la possibilité de faire part de leurs expériences et attentes respectives en la matière, ils joueront dès lors un rôle important dans la mise en œuvre des objectifs poursuivis par la directive», expliquent les services dirigés par (CSV).
La directive européenne prévoit un point d’étape dans les cinq ans.