William Davies, CIO EMOA chez Columbia Threadneedle Investments. (Photo: Maison Moderne/Archives)

William Davies, CIO EMOA chez Columbia Threadneedle Investments. (Photo: Maison Moderne/Archives)

William Davies, Deputy Global Chief Investment Officer de Columbia Threadneedle Investments, livre ses prévisions de marché pour l’année 2022.

Les taux d’intérêt sont historiquement bas depuis plus d’une décennie en raison de la relance monétaire à outrance engagée dans le sillage de la crise financière mondiale. Nous pensons que la donne changera en 2022. Avec la reprise économique dans le sillage de la pandémie de Covid-19, nous anticipons une inversion des rôles dans la politique monétaire: les mesures d’aide, de relance et les dépenses publiques seront remplacées par la reprise, le rétablissement et la diminution de la relance budgétaire et un retour à la «normale». Le compromis politique sera essentiel, notamment aux États-Unis, pendant cette transition engagée par les gouvernements. Avec le retrait des mesures qui soutiennent les prix des actifs, la gestion active – qui consiste à dénicher des entreprises avec des qualités endurantes qui leur permettront de résister à la volatilité – sera essentielle à la réussite en 2022.

Inflation: pas le moment de paniquer

Début 2021, nous avions prédit que le pari sur le déconfinement, conjugué aux dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement, créerait un environnement inflationniste transitoire, et ce fut le cas. Même si cette période transitoire dure plus longtemps que prévu, nous tablons toujours sur une modération de l’inflation au fil des mois en 2022.

Heureusement, les banques centrales continuent de faire abstraction des tensions inflationnistes. Par exemple, la Réserve fédérale américaine ne semble guère préoccupée par le regain d’inflation persistant aux États-Unis, qui, lors des cycles précédents, aurait été perçu comme un obstacle majeur. Les investisseurs et les marchés sont, eux aussi, assez optimistes. Les marchés actions tutoient les sommets, portés par les nombreuses opérations de fusion-acquisition dans certains secteurs (notamment au Royaume-Uni), tandis que le redressement et l’aplatissement de la courbe des taux ont été intéressants à observer et n’ont pas causé la consternation à laquelle on aurait pu s’attendre. Cette relative indifférence tranche avec les inflexions de la politique monétaire en 2013 et en 2018, qui avaient été mal accueillies par les marchés, notamment à l’occasion de l’épisode du «taper tantrum». Aujourd’hui, les participants au marché semblent davantage prêts, après avoir attendu si longtemps d’y voir plus clair. Cela nous rend davantage confiants pour 2022 en dépit du ralentissement de la croissance qui se profile.

Nous continuerons de privilégier les entreprises de qualité qui génèrent des rendements appréciables sur le long terme et prennent en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, en mettant à profit nos capacités de recherche en investissement. 

William Davies

L’atténuation des dysfonctionnements dans les chaînes d’approvisionnement est l’une des raisons pour lesquelles nous pensons que l’inflation finira par retomber en 2022. Que l’on impute ces dysfonctionnements au Covid-19 ou à d’autres facteurs structurels et politiques (notamment en Europe), nous sommes nombreux à sous-estimer l’impact de la chaîne d’approvisionnement sur la situation des entreprises. Si l’excès des commandes retombe, il subsiste un risque de récession induite par les stocks dans certains secteurs comme l’automobile et les semi-conducteurs, car les fabricants qui ont sous-estimé les niveaux de commandes pendant la pandémie ont puisé dans leurs stocks pour faire face à la demande. En effet, certains analystes qui suivent ce secteur ont récemment estimé que la pénurie de semi-conducteurs pourrait se prolonger jusqu’en 2023.

Néanmoins, malgré les difficultés actuelles sur les plates-formes logistiques et la pénurie de main-d’œuvre, nous avons observé récemment des signes d’amélioration. Dans certains secteurs, notamment celui de la distribution, les entreprises profitent toujours d’une chaîne d’approvisionnement moins concentrée et plus agile, tandis que les industriels, les transporteurs et les distributeurs redoublent d’efforts pour rattraper le terrain perdu en 2021 face à une demande des ménages qui ne faiblit pas. Nous pensons que les difficultés liées aux chaînes d’approvisionnement continueront de s’atténuer en 2022, mais il faudra peut-être patienter jusqu’au second semestre pour en ressentir les effets positifs.

La qualité l’emportera

Les bénéfices ont nettement rebondi cette année, ce qui reflète une gestion bilancielle relativement habile de la part des dirigeants d’entreprises, avec un contrôle plus rigoureux des coûts et une discipline stricte en matière de dividendes et de rachats d’actions. La reprise des échanges commerciaux et le rebond durable de la demande ont eu une incidence favorable sur les flux de trésorerie, et donc sur la situation financière des entreprises, qui ont pu ainsi se désendetter.

Mais, compte tenu de ces goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement et de la persistance de l’inflation, les entreprises auront plus de mal à dépasser les attentes comme ce fut le cas en 2021, du moins à court terme. L’an prochain, les bonnes surprises devraient laisser la place à des déceptions sur le front des résultats d’entreprises.

Au cours des cycles précédents, lorsque la courbe des taux s’aplatissait, cela a incité les investisseurs à rechercher des entreprises de qualité susceptible de résister à un choc de taux d’intérêt imminent. En cette fin d’année, nous avons vu la courbe des taux se redresser, puis s’aplatir et enfin remonter pour l’ensemble des échéances, d’où une plus grande incertitude quant aux facteurs qui influencent le marché. Je doute que la donne change à court terme, mais certains segments qui avaient surperformé ces derniers temps pourraient souffrir, comme les titres «meme» devenus très populaires auprès des petits porteurs fréquentant assidûment les réseaux sociaux. Les entreprises que nous apprécions (les entreprises de qualité avec un bilan sain et de solides avantages concurrentiels) ont de meilleures chances de résister à la volatilité.

Obligations: les valorisations ne laissent qu’une faible marge d’erreur

Les investisseurs sont revenus en masse sur le marché obligataire en 2021, surfant sur la vague de liquidités qui a rendu la plupart des actifs risqués plus attrayants. Résultat, les valorisations sont élevées, d’où notre défiance à l’égard des actifs moins liquides que d’autres, comme le crédit structuré et les obligations municipales. Contrairement aux investisseurs passifs dont la gestion est alignée sur des indices qui comportent de nombreuses entités surendettées, nous pensons qu’une approche active portera ses fruits en 2022.

Sur les marchés obligataires, l’année 2022 s’annonce comme un très bon millésime pour les «étoiles montantes», ces émetteurs spéculatifs promus dans la catégorie investment grade.

William Davies

Dans la mesure où nous pensons que l’inflation perdurera et qu’un retrait des mesures de relance se profile à l’horizon, on peut s’attendre à ce que les rendements obligataires augmentent en 2022, une perspective guère réjouissante. Néanmoins, à mesure que les entreprises entreront dans une phase d’expansion traditionnelle du cycle économique, notre approche active ciblée sur l’amélioration des finances des entreprises et des ménages, ainsi qu’une maîtrise des coûts «intelligente» se traduira par de meilleurs résultats en 2022. L’augmentation des spreads observés récemment concerne davantage les émetteurs spéculatifs que ceux de la catégorie investment grade (IG), ce qui aurait été prévisible en période de ralentissement. Si cette tendance perdure, nous pourrions considérer que le segment IG est plus attrayant que le segment à haut rendement, même si les «étoiles montantes» demeurent intéressantes à nos yeux. Et en cas de ralentissement plus marqué que prévu, les emprunts d’État auront sans doute le vent en poupe.

Actions: nulle part où se cacher

Les entreprises auront plus de mal à dépasser les attentes comme ce fut le cas en 2021, du moins à court terme. En fait, je m’attends à une plus grande dispersion de la performance des actions tout au long de l’année, un contexte qui pourrait créer des opportunités pour les investisseurs actifs. La poursuite du pari sur la réouverture, sur fond de maintien d’une croissance du PIB supérieure à la moyenne, présente des opportunités de surperformance cyclique, notamment au premier semestre, mais il y aura là aussi des gagnants et des perdants. Comme indiqué précédemment, nous pensons que la qualité l’emportera sur le long terme.

Par «qualité», nous faisons référence aux entreprises avec des bilans sains, de solides avantages concurrentiels et un profil de durabilité remarquable. Quelle que soit la région du monde dont elles sont issues, nous pensons que ces entreprises survivront à un éventuel ralentissement ou accès de volatilité en 2022.

Tour d’horizon

D’un point de vue géographique, les investisseurs se sont massivement détournés de la Chine cette année en raison d’un tour de vis réglementaire très médiatisé et des déséquilibres du marché immobilier. Il est vrai que le durcissement de la réglementation est problématique, sans oublier l’apparition de foyers épidémiques liés au variant Delta du coronavirus, les phénomènes météorologiques extrêmes, qui ont une incidence sur la production alimentaire et le transport, ainsi que le ralentissement de la croissance. Toutefois, la Chine a été le premier pays à se redresser après la crise du Covid-19, et elle y est parvenue avec un cadre réglementaire plus strict que d’autres pays. Même si la croissance de l’économie chinoise reste une source d’inquiétude majeure, je considère que cela accentue la probabilité que les autorités chinoises annoncent des mesures de relance en 2022. Je porte donc un regard mitigé sur la situation de la Chine. Il y a bel et bien des opportunités à saisir en Chine (comme dans le reste du monde émergent), mais cela exige d’analyser les fondamentaux et d’adopter une approche «bottom-up», qui consiste à bâtir des portefeuilles en examinant les entreprises au cas par cas et non selon une approche thématique.

Au Japon, le Premier ministre Fumio Kishida ne constitue pas un catalyseur positif comme ce fut le cas de Shinzo Abe. En l’absence d’étincelle politique et de perspective d’un changement significatif, le Japon est devenu un marché moins enthousiasmant aux yeux des investisseurs en dépit de l’atténuation des dysfonctionnements dans les chaînes d’approvisionnement qui profitera aux pays tournés vers l’industrie comme le Japon. Cela dit, les opportunités ne manquent pas pour les investisseurs actifs et le marché japonais présente à cet égard un éventail insoupçonné, notamment dans le secteur technologique et celui des services. C’est assez inhabituel dans ce dernier secteur étant donné le Covid-19, mais certaines initiatives visant à améliorer la productivité sont en train de révéler des opportunités.

S’agissant de l’Europe, nous prévoyons une forte croissance même si des chocs sur les chaînes d’approvisionnement ne sont pas à exclure, comme le montrent déjà la pénurie de chauffeurs de poids lourds et, plus généralement, la diminution de la main-d’œuvre. Ces facteurs se traduiront probablement par une inflation plus forte que prévu et une amorce de retrait des mesures de relance. Dans une Allemagne dirigée par le social-démocrate Olaf Scholz, qui s’est allié aux écologistes et au FDP, il pourrait y avoir une volatilité plus marquée et une prédilection pour la relance. En outre, une élection présidentielle se tiendra en France au mois d’avril. Or les élections dans ce pays accouchent souvent de résultats inattendus. Ces événements sont de nature à influencer les marchés, mais il est difficile de savoir dans quelle mesure.

2022 s’annonce comme une année placée sous le signe du changement. Cela fait un moment que nous sommes dans un environnement de relance budgétaire et monétaire et, lorsque les robinets restent grands ouverts, les investisseurs ne se préoccupent guère de savoir combien les gouvernements et les banques centrales dépensent ou à combien s’élève le déficit budgétaire d’un pays. Mais le changement est en vue, quand bien même cette perspective n’est guère réjouissante, et nous évoluons dans un monde à l’économie convalescente, dans lequel les marchés et les investisseurs doivent tenir compte de l’impact d’une diminution de la relance budgétaire. Un environnement plus volatil devrait être propice à notre approche de gestion active et sélective.