Quelle est votre définition de l’influence?
– «En tant que syndicalistes, nous voulons avoir de l’influence pour proposer des idées ou revendiquer en faveur de causes qui vont dans le sens de notre engagement. L’influence signifie transmettre ses valeurs et ses idées.
Est-ce la personne qui se construit une influence ou le poste qui en donne?
«Un peu des deux. Bien sûr que le poste donne de l’influence, mais le syndicat est une organisation démocratique qui place la personne au centre de la nomination, ce qui change d’une situation traditionnelle en entreprise. Ceci dit, la présidence de l’OGBL est tout de même un poste de pouvoir qui amène à coordonner 120 personnes avec tout un champ de responsabilités: la responsabilité politique des prises de décisions, la responsabilité dans les négociations avec le gouvernement, avec le patronat, avec les autres syndicats, la responsabilité juridique…
Il y a une solitude qui est liée à ce poste ou l’approche démocratique aide à partager le pouvoir?
«Cette solitude de la décision finale, je ne la ressens que très rarement. Notre bureau exécutif décide collectivement. Nous nous réunissons tous les lundis après-midi pour couvrir tous les sujets. C’est un peu comme le comité de direction d’une entreprise.
Comment se préserver d’une forme «d’autoritarisme»?
«C’est déjà une question de tempérament. J’ai plutôt tendance à discuter, à faire les choses de manière participative. Si je devais faire un effort, ça serait plutôt dans le sens contraire en devant parfois m’imposer. L’élection à la présidence de la Chambre des salariés m’a aidée à structurer ma présidence de l’OGBL. En combinant la présidence des deux organisations, on a plus de moyens d’agir, les leviers sont plus importants. C’est une configuration idéale, même si cela complique l’organisation de celui ou celle qui exerce les deux mandats simultanément. La préparation des contenus via la CSL m’aide aussi à préparer mes dossiers, à construire mes prises de position vis-à-vis de l’actualité politique par exemple. La complémentarité entre les deux postes apporte évidemment aussi une plus-value à l’OGBL.
Considérez-vous vos membres comme vos actionnaires?
«Non, je n’ai jamais fait cette comparaison. Je fais ce travail pour les membres qui ne sont pas non plus des clients, car je ne vends pas un produit. Nous partageons des idées et des valeurs. L’appui et le soutien de nos quelque 70.000 militants comptent beaucoup pour moi. Cela me donne la force de faire ce travail. Les rencontrer lors des rassemblements m’aide aussi beaucoup. C’est là où les liens se tissent pour la vie.
Les membres viennent plutôt à la rencontre de Nora ou de la présidente?
«Ils viennent plutôt voir la présidente.
Qu’est-ce que ça change dans les rapports?
«Ils viennent me voir pour avoir mon conseil ou mon soutien sur un dossier. Mais, évidemment, nous avons des liens amicaux et très profonds. Encore aujourd’hui, je garde un contact direct avec mes collègues du secteur de la santé. Le rapport est forcément différent dans d’autres secteurs, mais nous apprenons très vite à nous connaître au sein de l’OGBL. Nous échangeons beaucoup. L’esprit de grande famille demeure.
Quelle influence voulez-vous avoir au sein de l’OGBL?
«Je l’ai toujours dit: ma priorité est de maintenir les lignes politiques de mes prédécesseurs. Voici pour le contenu. Au niveau de la forme, je veux que l’OGBL devienne surtout plus jeune, plus féminin, plus moderne, qu’il puisse se départir de l’image de ‘vieux hommes aux cheveux gris’. Ce que nous faisons à l’OGBL ne peut être plus à la mode, surtout en période de forts changements dans le monde du travail.
Pour être moderne, il faut peut-être afficher une ligne moins dogmatique…
«Nous ne sommes pas aussi dogmatiques que certains veulent bien le faire croire. Nous sommes vus comme ceux qui ne veulent pas bouger sur certains dossiers ou des problématiques sociales ou liées au monde du travail. Mais nous voulons bouger, dans une direction qui correspond à nos valeurs. En ce sens, je pourrais dire que le patronat est aussi dogmatique.
Le dialogue a été constant durant la crise, nous étions soudés entre partenaires sociaux, unis contre un ennemi commun et invisible.
Le dialogue social a-t-il évolué suite à l’arrivée de à la présidence de l’UEL, puis à votre arrivée à la présidence de l’OGBL?
«Qu’est-ce qu’il a vécu, ce dialogue social, au cours des derniers mois! Nous avons connu le ‘clash’ à l’automne 2019 lorsque . Nous avons manifesté notre mécontentement et, finalement, tout le monde est revenu autour de la table, ce qui était une bonne chose. Ensuite, la pandémie est arrivée. Le dialogue a été constant durant la crise. Nous étions soudés entre partenaires sociaux, unis contre un ennemi commun et invisible. Nous avons mis de côté nos différends pour nous concentrer sur les priorités du moment . , ainsi qu’aux aides aux entreprises vis-à-vis desquelles nous avons soutenu l’UEL, qui nous a soutenus à son tour dans notre demande de congé familial pour raison extraordinaire. C’était en revanche un peu plus compliqué avec le gouvernement, derrière lequel nous devions courir.
Bien que le ministre du Travail, (LSAP), soit plutôt proche de votre syndicat…
«Nous avons eu beaucoup de chantiers avec lui ces derniers temps… Je rappelle que, même si cela peut prêter à sourire, l’OGBL est politiquement indépendant.
Est-ce que Dan Kersch ne vous a pas volé la vedette avec le chômage partiel élargi qui est perçu comme «sa» mesure?
«Cela arrive souvent dans la relation avec la politique: nous exprimons des revendications et le gouvernement annonce ensuite des idées qui sont inspirées de ces revendications. Nous l’avons vécu au début de cette crise lorsque nous avions demandé une réunion de la tripartite. Le Premier ministre nous avait dit que cela n’était pas la priorité du moment, mais il nous avait demandé de lui formuler nos revendications. Nous avons vu par la suite que certaines avaient été mises en pratique.
Quel regard portez-vous sur la place prise par Dan Kersch durant cette crise?
«Ce n’est pas à moi de juger un ministre, c’est aux électeurs de le faire. De manière générale, je dois dire que c’est un ministre qui est toujours ouvert au dialogue et pour discuter de ce qui ne va pas avant que cela ne soit rendu public. Je lui reconnais cette écoute. Mais il a aussi pris des décisions que je ne partage pas, comme l’augmentation des heures de travail dans le secteur de la santé. Par contre, dans la partie qui le concerne dans l’accord de coalition figure la réforme de la loi sur les conventions collectives, ce qui est un pas très courageux pour un ministre du Travail relativement nouveau dans cette fonction.
Je vais vous donner trois noms. Dites-nous votre ressenti par rapport aux personnes concernées. Tout d’abord, Nicolas Buck…
«Je regrette son départ. Finalement, après des débuts compliqués, nous avons trouvé un terrain d’entente, une manière de travailler. C’était un partenaire social ouvert au dialogue.
… , président du syndicat LCGB?
«Le seul défaut de Patrick est qu’il ne veut pas de syndicat unitaire [rires]. Nous avons de bonnes relations, nous travaillons très étroitement ensemble à la Chambre des salariés. Du côté de l’OGBL, nous restons prêts pour l’idée d’un syndicat unitaire qui figure dans notre programme.
… , le Premier ministre (DP)?
«En temps normal, je ne partage évidemment pas ses positions, dans la grande majorité des cas. Mais notre gouvernement, avec à sa tête le Premier ministre, a fait un bon travail durant cette crise. Ce n’était pas évident, et je n’aimerais pas être à sa place. Personne ne savait comment agir, mais il a bien réagi, il a gardé son calme et pris les bonnes décisions au bon moment.
Nous avons tous besoin du marché international, mais nous avons peut-être été un peu loin sur certains aspects.
Est-ce que votre regard sur le télétravail a évolué durant la crise?
«Énormément. Quand le télétravail a été pratiqué à grande ampleur, nous avons vécu les désavantages en direct. Il y a beaucoup d’inconvénients et de risques avec le télétravail. En ce sens, l’accord trouvé avec le patronat portant sur une convention permet de le pratiquer de façon cadrée, y compris sur la question importante du droit à la déconnexion.
Comment avez-vous perçu l’évolution d’une usine de yaourt à Bettembourg?
«Nous avons besoin d’une politique industrielle mieux coordonnée, tant au niveau national qu’européen. Ceci dit, le secteur de l’industrie a contribué fortement à la richesse de ce pays. Le tissu économique évolue vers une place de plus en plus importante consacrée aux services, mais il ne faut pas oublier le rôle essentiel de l’industrie pour nous tous. La crise nous l’a d’ailleurs rappelé avec la question de l’approvisionnement en matériel sanitaire. Dans le monde d’après-crise, nous aurons besoin de relocaliser certaines industries au Luxembourg et dans les pays voisins.
Le déclin de l’industrie ne reflète pas une forme de perte d’influence des syndicats?
«Non, c’est le secteur qui a perdu en influence. Nous restons fortement représentés au sein du secteur, même chez les jeunes.
Comment comptez-vous gagner en influence dans les secteurs des services?
«C’est le grand défi, car il n’y a déjà pas de culture de la syndicalisation dans ces secteurs. Au contraire, ils sont imprégnés de la culture individualiste. Mais c’est là où ça se joue, là où l’économie luxembourgeoise va gagner encore plus de poids. Nous devons leur parler avec un autre langage.
Le modèle syndical correspond à ces secteurs?
«Le modèle syndical correspond à 100 % à ces secteurs. Ce sont des secteurs qui sont beaucoup exposés aux nouvelles formes de maladie du travail comme le burn-out, des secteurs où les conditions de travail sont très dures avec des horaires très flexibles… Nous avons besoin de syndicats pour défendre les intérêts des gens qui y travaillent. Pour y accéder, nous avons agrandi notre équipe en recrutant des profils qui ont une affinité avec les secteurs concernés. Nous comptons désormais cinq secrétaires centraux, malgré le fait que le Syndicat Services et Énergie ne soit pas celui qui compte le plus de membres.
On a introduit des considérations économiques dans la santé, secteur qui ne devrait pas être régi par les lois du marché.
Ces engagements reflètent votre volonté de faire évoluer l’image du syndicat?
«Oui, nous avons aussi engagé une personne anglophone pour éditer des textes en anglais et une jeune graphiste. Nous sommes plus présents sur les réseaux sociaux. Ce sont les chemins que nous prenons pour accéder à ces secteurs.
Comment avez-vous perçu le fait que certains métiers soient redécouverts avec cette crise, notamment dans le secteur hospitalier?
«J’ai apprécié cette prise de conscience. Cela aura au moins été une chose positive durant cette crise tragique. Je pense aussi aux métiers parfois invisibles, comme le secteur du nettoyage, le gardiennage, les caissières, les éboueurs… Pour une fois, ils ont été vus et entendus, car ils nous ont permis de survivre. Mais ça ne suffit pas de les applaudir.
Si on compare les conditions de travail des infirmières avec les pays voisins, le métier semble moins pénible au Luxembourg…
«L’avantage est surtout au niveau des salaires. Mais à côté du salaire, il y a des conditions de travail qui sont tout aussi pénibles, voire pires dans certains cas. Je connais bien ce secteur et il y avait déjà un manque de personnel avant le Covid. La première chose à faire est d’introduire un autre modèle de calcul pour la dotation des hôpitaux, et donc le nombre de personnels. Ensuite, le dernier plan hospitalier a diminué fortement le nombre de lits en passant du stationnaire à l’ambulatoire. On a introduit des considérations économiques dans un secteur qui ne devrait pas être régi par les lois du marché. Nous faisons face aussi à un manque d’intérêt pour ces métiers de la part des jeunes, ce qui entraîne un besoin accru du recours aux frontaliers… C’est tout un système qu’il faut revoir.
La crise va-t-elle remettre en cause la mondialisation?
«Pas toute l’idée de la mondialisation, mais il faudra revoir certains mécanismes qui sont allés trop loin, qui ont aussi créé la catastrophe climatique dans laquelle on se trouve. Les jeunes qui descendent dans la rue vont pouvoir changer les choses en ce sens. Je vis dans le monde tel qu’il est. Nous avons tous besoin du marché international, mais nous avons peut-être été un peu loin sur certains aspects.
Qu’est-ce que cette crise laissera comme trace dans nos vies?
«À titre personnel, j’ai l’impression qu’elle a vraiment créé un clivage encore plus important entre les gens. Elle laissera des traces énormes, même au sein des familles, entre les amis… Les uns ont peur, les autres croient à certaines théories quant à l’origine de la pandémie… Sans parler des restrictions sur nos libertés. Le fait de savoir que les gens s’opposent les uns aux autres me rend triste. L’évolution de cette ambiance dépend de la durée de la crise avec laquelle nous allons pourtant devoir réussir à vivre.»
Nora Back obtient la 10e position dans le classement du Paperjam Top 100 2020, présenté dans le numéro de janvier 2021 du magazine Paperjam, en kiosque à partir du 17 décembre.
Ce que dit le jury de Nora Back
Nora Back a rapidement imprimé son style à l’OGBL, et cela s’est senti dans les réunions pendant la crise, voire au CES.
Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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