Part des voitures électriques, nombre d’entreprises créées… Le Premier ministre a livré quelques chiffres inexacts lors de son discours sur l’état de la Nation. (Photo: Luc Deflorenne/Archives)

Part des voitures électriques, nombre d’entreprises créées… Le Premier ministre a livré quelques chiffres inexacts lors de son discours sur l’état de la Nation. (Photo: Luc Deflorenne/Archives)

Si la plupart des chiffres issus du discours sur l’état de la Nation, prononcé par Xavier Bettel le 11 octobre, sont sourcés, d’autres sont plus difficiles à retrouver ou légèrement exagérés. Explications.

Mobilité, énergie, climat… Dans son , le Premier ministre, (DP), a égrené une série de faits et livré des chiffres relatifs à l’économie luxembourgeoise. Paperjam en a vérifié et creusé certains.

Économie

«Presque aucune économie en Europe ne s’est rétablie aussi rapidement après le lockdown que celle du Luxembourg.»

Vrai. Du moins si on prend en compte les chiffres de l’année 2020, qui correspond à la fois à celle du confinement et du déconfinement. , le PIB réel luxembourgeois en volume a augmenté de 5,1% en 2021, après avoir chuté de 0,8% en 2020. Seules l’Estonie (-0,6%), l’Irlande (+6,2%), la Lituanie (0%) et la Norvège (-0,7%) ont connu des baisses plus limitées cette même année. Même si tous les pays européens n’ont pas déconfiné au même moment, ce qui rend la comparaison de la «vitesse de rétablissement après le lockdown» limitée.

«Depuis la pandémie, nous avons versé 5,5 milliards d’euros d’aides directes et indirectes aux personnes et aux entreprises. Ce montant extraordinaire est non seulement impressionnant dans la comparaison internationale, mais peut être considéré comme sans précédent en Europe.»

Faux. Le ministère d’État n’a pas fourni à Paperjam les données lui permettant d’affirmer cela.

Selon les éléments connus, Au niveau des ménages, on retient surtout les congés pour raisons familiales, auxquels l’État a contribué à hauteur de 238 millions d’euros en 2020, selon le rapport de la Caisse nationale de santé (CNS). Il y a aussi eu les bons de 50 euros pour une nuitée touristique, qui ont profité aux ménages comme à l’horeca,

Le , incluant notamment le crédit d’impôt énergie, a été chiffré à 830 millions d’euros. Le  à plus d’un milliard d’euros.

On peut donc déjà arriver à un total d’environ 3,5 milliards d’euros d’aides.

Contactée par Paperjam, la Commission européenne affirme avoir été notifiée par le Luxembourg de 3,67 milliards d’euros d’aides d’État dans le cadre du Covid et de 725 millions d’euros depuis le début de la guerre en Ukraine. Soit 4,4 milliards au total.

Mais même en atteignant 5,5 milliards, serait-ce réellement «sans précédent en Europe»? La Commission européenne comptabilise 3.000 milliards d’euros de demandes de gouvernements souhaitant proposer des aides étatiques liées au Covid. 52,8% concernent l’Allemagne, 16,9% l’Italie, 10,6% la France, 5,6% l’Espagne, 2,3% la Pologne, 1,9% la Belgique. Sans tenir compte de la proportionnalité relative à la population ou à la taille du pays, le Luxembourg arrive donc en dessous. De même quand on regarde aux 455 milliards d’euros validés pour des aides étatiques depuis le début de la guerre en Ukraine. 49,77% l’ont été pour l’Allemagne, 35,3% pour la France, 4,29% pour l’Italie, 3,85% pour la Finlande, 2,03% pour l’Espagne et 1,59% pour la Pologne.

En reportant les aides au nombre d’habitants, l’Allemagne reste encore au-dessus du Luxembourg.

Et si on compare le montant d’aides Covid au budget 2020 par pays, la France a proportionnellement accordé davantage d’argent que le Luxembourg, avec 318 milliards d’euros pour un (avant qu’on apprenne qu’il y aurait des dépenses exceptionnelles liées au Covid) de 556 milliards d’euros si on inclut les comptes spéciaux et budgets annexes,

«En moyenne, les ménages disposent d’un pouvoir d’achat au moins égal, voire souvent supérieur, à celui d’avant la crise.»

Vrai. calcule une hausse des dépenses de 8-9% entre 2019 et 2022 pour une hausse des revenus de 9-10%. Il s’agit d’une moyenne, même si «le pouvoir d’achat moyen de tous les quintiles est supérieur en 2022 et 2023 par rapport à 2019», précise l’institut. Il prend en compte, pour la hausse des revenus, en plus des indexations, le crédit d’impôt et la hausse du salaire minimum, celle des allocations familiales, de l’allocation de vie chère, de la subvention de loyer, des bourses d’études, et de la prime énergie.

Un calcul permet cependant de montrer que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Une personne seule, avec un salaire de 2.800 euros brut, qui ne reçoit aucune aide supplémentaire, est passée de 2.372 à 2.543 euros net juste après l’indexation de début 2020 à septembre 2022, grâce aux deux indexations d’octobre 2021 et d’avril 2022 et au crédit d’impôt énergie. Soit une augmentation de 7,16% de son pouvoir d’achat.

Alors que l’inflation annuelle s’est élevée à 0,8% en 2020, 2,5% en 2021 et 6,43% sur les neuf premiers mois de l’année 2022. Si le budget mensuel de cette personne s’élevait à 1.500 euros par mois, il est donc passé, si elle n’a pas adapté ses dépenses, à 1.649,5 euros en septembre 2022. Soit une hausse de 9,96%, plus importante que celle de ses revenus.

Entreprises

«Le nombre de faillites est approximativement au même niveau qu’en 2019.»

Vrai. Il a même diminué entre 2019 (1.263 faillites) et 2020 (1.199) , selon les chiffres de la justice. Et

«L’année dernière, environ 12.600 nouvelles entreprises ont été créées. Le nombre d’autorisations demandées est non seulement supérieur au niveau de 2019, mais se situe même à un niveau historiquement élevé.»

Faux. La Direction des Classes moyennes a bien reçu . Un nombre jamais atteint depuis 2015, données les plus anciennes disponibles sur le

Mais autorisation d’établissement ne veut pas forcément dire création d’entreprise. «Une entreprise peut exercer dans différents domaines, par exemple les travaux de peinture et de toiture. Il faudra donc deux autorisations d’établissement pour une même entreprise», illustre le ministère des Classes moyennes.

Par exemple, en 2019, dernières données disponibles au Statec, on comptait seulement 3.704  pour 12.014 autorisations d’établissement. Ces chiffres étant les plus récents, il n’est pas encore possible de dire si le nombre de nouvelles entreprises créées a dépassé son niveau d’avant-crise.

Mobilité

«Cette année, 25% des nouvelles immatriculations étaient des voitures électriques et plug-in hybrides.»

Faux. En , 20% des nouvelles immatriculations étaient électriques (4.469) ou plug-in hybrides (hybrides rechargeables, 4.443). , on monte à 23,8%. Une part qui diminue légèrement si on ajoute les mois de juillet, août et septembre, pour arriver à 23,4% d’électriques et d’hybrides rechargeables sur les neuf premiers mois de l’année. Peu importe le calcul, le taux de 25% est donc surestimé.

«À partir de l’année prochaine, les nouvelles voitures automotrices seront enfin livrées, ce qui permettra d’augmenter la capacité de transport de passagers dans les trains de 43% d’ici 2025.»

Vrai. «La seule commande en cours est celle des Alstom Coradia Stream HC», explique le ministère de la Mobilité. 138 «caisses» dont les livraisons doivent s’étirer jusqu’à mi-2025. Elles remplaceront en partie les automotrices Z2, mais doivent permettre une augmentation nette du nombre de places assises dans la flotte des CFL de 43%.

Le ministère de la Mobilité précise que «les CFL ont une gestion flexible de leur parc, ces automotrices pourront donc rouler sur toutes les lignes, sauf vers l’Allemagne, en fonction des besoins. Un des premiers objectifs sera de remplacer progressivement les Z2 dans les trains Luxembourg-Diekirch, puis sur les antennes (Wiltz, Dudelange).»

Cela veut-il dire que les frontaliers français, qui utilisent les trains du réseau TER Grand Est, ne sont pas concernés? «Il n’y a pas que les automotrices de la SNCF sur la ligne du sillon lorrain», corrige le ministère. Qui détaille qu’à partir de 2024, des trains plus longs pourront circuler sur cette ligne. Ils passeront de six à huit ou neuf caisses, soit une augmentation de 33 à 50% de la capacité. Rendue possible par la livraison de matériel roulant du côté des CFL, mais aussi de la SNCF. Ainsi que par «le prolongement des quais à 250 mètres pour tous les arrêts en France entre la frontière et Metz».

Dans une deuxième phase, la mise en service de la nouvelle ligne Luxembourg-Bettembourg et des aménagements d’infrastructure en France permettront de faire circule huit trains TER par heure à partir de 2028, contre six aujourd’hui. Sur cette ligne, «on pourrait donc à terme doubler les capacités si tout le programme arrive à être réalisé». Même si le nombre de frontaliers aura aussi bien augmenté d’ici là. L’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) en projette 288.000 venant de France en 2040, contre 104.070 aujourd’hui.

«Près de 50% des bus sont électriques. Nous atteindrons notre objectif de rouler entièrement électrique d’ici 2030.»

À nuancer. Cela concerne uniquement les quelque 1.000 bus du réseau RGTR, confirme le ministère de la Mobilité. Sont donc exclus de cette statistique ceux des CFL, du réseau AVL de la Ville de Luxembourg, ou encore des compagnies privées.

Énergie/climat

«D’ici 2026, 10% de la consommation annuelle d’électricité dans les bâtiments publics devrait être couverte par leurs propres installations photovoltaïques.»

Invérifiable. Actuellement, 62 bâtiments publics sont équipés d’une installation photovoltaïque, précise Xavier Bettel. Mais couvrent-elles 10% de leur consommation propre? Le ministère de l’Énergie nous renvoie vers celui de la Mobilité, qui répond seulement que «chaque installation photovoltaïque installée par l’Administration des bâtiments publics est conçue de manière à maximiser la production d’électricité».

Il précise que l’État possède 1.600 bâtiments publics.

«Nous avons plus que doublé la production d’énergie renouvelable au cours des six dernières années.»

Vrai, mais cela ne concerne que l’énergie électrique produite à partir de sources renouvelables. Dont la production a même doublé en moins de six ans, . Elle est passée de 461 GWh en 2016 à 993 GWh en 2021.

«Depuis l’été, le nouveau règlement grand-ducal sur les objectifs climatiques sectoriels est en vigueur. Globalement, nous avons atteint nos objectifs l’année dernière.»

Vrai, même si .

«Le Luxembourg investit déjà environ 1,1 milliard d’euros par an dans sa politique climatique.»

Imprécis. Le ministère de l’Environnement nous renvoie vers celui des Finances qui nous renvoie vers la . Dans cette dernière sont détaillés les 125,2 millions d’euros dépensés par le Fonds climat en 2020 et les 182,6 millions en 2021. Les 31,5 millions d’euros en 2020 et 41,1 en 2021 par le Fonds pour la protection de l’environnement. Ainsi que les 451,1 millions en 2020 et 550,8 millions en 2021 du Fonds du rail, pris en compte dans ce calcul. Soit 607,8 millions d’euros en 2020 et 774,5 millions en 2021. Où sont les plus de 300 millions manquant pour arriver à 1,1 milliard? «À travers divers autres transferts ou subventions», dit sans plus de précision le ministère.

«Depuis janvier de cette année, chaque gramme de CO2 émis sur les vols gérés par l’État est comptabilisé. Au 1er octobre, c’était 860 tonnes de CO2. Le budget pour 2023 prévoit une somme appropriée avec laquelle ces émissions seront rétroactivement compensées.»

Vrai. Le projet de budget 2023 prévoit en effet un montant de 50.000 euros pour la compensation des émissions de CO2 des voyages de services des agents de l’État à l’étranger par avion en 2022. Quelles seront les compensations? «Le choix précis des projets ne sera opéré que début 2023», explique le ministère de l’Environnement. «Le gouvernement envisage de recourir, du moins dans un premier temps, à des projets en dehors du territoire luxembourgeois générant des réductions des émissions certifiées conformément aux dispositions de l’Accord de Paris. Seront visées à la fois les réductions d’émissions sous forme d’émissions évitées et sous forme de gaz à effet de serre éliminés de l’atmosphère moyennant des activités de séquestration (projets de foresterie et d’utilisation des terres).»

Santé

«Plus de 83% des personnes adultes présentent un schéma vaccinal complet.»

Vrai. Un taux qui diffère cependant de celui de 79% de la population vaccinable annoncé dans les différents bilans hebdomadaires. Le Premier ministre ne prenant ici en compte que les personnes de 18 ans et plus, alors que la vaccination est possible à partir de cinq ans.

Social

«Afin de pouvoir encore mieux aider les plus faibles de notre société à l’avenir, le gouvernement augmentera de 50% le personnel des offices sociaux.»

Non engageant. En réalité, c’est aux offices sociaux d’introduire leurs demandes pour augmenter le nombre de postes dans leurs bureaux à partir du 1er janvier 2023. Les emploient actuellement 106,73 équivalents temps plein.

«L’État continue d’investir dans l’extension et la rénovation de l’infrastructure pour les personnes âgées, de sorte que dans les années à venir, environ 3.000 lits supplémentaires seront disponibles.»

Là aussi, le partage, que ce soient dans des établissements publics ou privés, se fera «sur demande des gestionnaires». Il s’agirait en tout cas d’une augmentation importante puisque le pays compte 6.403 lits au total: 3.930 dans des centres intégrés pour personnes âgées (CIPA) et 2.473 dans des maisons de soins.