Très proche des deux tours, Marc de Bourcy a eu beaucoup de chance de se cacher sous un camion, puis de trouver refuge dans un magasin, avant de sortir dans la rue et de rencontrer des équipes de secours, cela sans subir de blessures graves.  (Photo: Shutterstock/Marc de Bourcy)

Très proche des deux tours, Marc de Bourcy a eu beaucoup de chance de se cacher sous un camion, puis de trouver refuge dans un magasin, avant de sortir dans la rue et de rencontrer des équipes de secours, cela sans subir de blessures graves.  (Photo: Shutterstock/Marc de Bourcy)

Marc de Bourcy a vécu les attentats du 11 septembre 2001 en direct. Il ne sera que légèrement blessé. Mais, comme il l’explique à Paperjam, sa vie ne sera plus jamais la même.

Comme de nombreuses autres personnes vivant à New York, Marc de Bourcy se souvient que ce matin du 11 septembre 2001, «il faisait un temps magnifique, un très beau soleil et un doux ciel bleu d’automne». À l’époque, il travaille dans le secteur de la finance à Midtown Manhattan, mais habite le quartier de Park Slope à Brooklyn. «J’avais démarré tôt ma journée, car j’avais un rendez-vous chez le dentiste qui était juste à côté des Twin Towers. En descendant de mon rendez-vous, juste avant 9 heures, je me suis dit qu’il y avait peu de monde dans les rues, alors que d’habitude le quartier Downtown financier grouille de monde… Ce qui était normal puisqu’on évacuait les gens ailleurs, ce que je ne savais évidemment pas encore. C’est à Liberty Place que j’ai vu les flammes en haut dans la première tour et ces milliers de morceaux de papier qui dansaient dans le ciel, et des personnes qui se tenaient par la main et ont sauté ensemble dans le vide, décidant ainsi par eux-mêmes de leur propre sort au lieu d’attendre pire», explique-t-il.

Je me suis jeté sous un camion, j’ai mis mon pull sur la tête, fermé les yeux et retenu mon souffle.
Marc de Bourcy

Marc de Bourcytémoin du 11 septembre 2001

Puis, «cela tremblait de manière incroyable». Tout d’un coup, «il y a eu beaucoup de pompiers autour de moi. L’un d’eux m’a crié dessus: ‘Courez si vous voulez vivre!’ Je me suis précipité dans une ruelle de manière instinctive, ces rues où l’on trouve des petits magasins, des petits restaurants et des snack-bars. Une masse grise est alors arrivée à toute allure et les vitres des immeubles explosaient autour de moi. J’ai vu des gens se faire déchiqueter par des débris. Pour ma part, je me suis jeté sous un camion, j’ai mis mon pull sur la tête, fermé les yeux et retenu mon souffle. J’ai agi de manière mécanique et instinctive, alors que mon esprit était très anxieux et agité. Mais, aussi, pour la première fois de ma vie, durant ce moment, j’ai eu l’impression que mon corps, qui restait calme et posé, disait à ma tête: ‘Ne t’inquiète pas, cela va aller, on va s’en sortir.’»

Un peu plus tard, il n’arrive plus à retenir son souffle et a du mal à respirer; avec la visibilité qui est nulle ou faible, il se relève. «J’ai dû me cogner contre une porte en verre et quelqu’un m’a vu allongé par terre, m’a tiré dans une sorte de petite épicerie. Il y avait du monde à l’intérieur qui m’a aidé à respirer. Et tout le monde essayait d’avoir ses proches au téléphone, moi aussi d’ailleurs, or les réseaux ne fonctionnaient plus.» De ces instants, il se rappelle avoir voulu prendre un Coca dans un frigo car «j’avais avalé beaucoup de fumée et de poussières diverses. Le patron du magasin m’a dit: ‘C’est 1 dollar.’ J’en ai ri aux larmes et je lui ai donné le billet de 1 dollar tout poussiéreux. Cette attitude était aussi tellement new-yorkaise en elle-même, même dans ces circonstances extrêmes de trauma collectif que nous étions tous en train de vivre… ‘Nothing like a free lunch in New York.’»

Contrairement à l’avis des autres, il se sent intiment convaincu de devoir sortir dans la rue et se rend à pied direction nord-est vers le Brooklyn Bridge. Dans une ambiance d’apocalypse, avec le soleil qui transperçait la fumée, il voit «des gens à terre, des personnes mortes et blessées». Il est pris en charge par des ambulanciers, conduit en clinique à Brooklyn – il a les poumons affectés par la fumée et la poussière de débris, et de la limaille de fer et de petites pièces de verre dans les yeux, qui seront ensuite retirées par chirurgie –, puis on lui demande de rentrer chez lui. «J’ai laissé mes vêtements devant la porte, et j’ai attendu. Ma copine est arrivée. J’ai vu les images des attentats à la télé, et ai donc compris à cet instant qu’il s’agissait d’un attentat et non d’un accident et que la deuxième tour était aussi tombée – cela m’a traumatisé.» Il apprendra plus tard que le magasin où il avait trouvé refuge et qu’il avait hâte de quitter avait été écrasé par des débris de la seconde tour.

Plus de contact avec la douceur

Très proche des deux tours, Marc de Bourcy a eu beaucoup de chance de se cacher sous un camion, puis de trouver refuge dans un magasin, avant de sortir dans la rue et de rencontrer des équipes de secours, cela sans subir de blessures graves. Une chance, certes. Mais aussi des événements qui vont fortement impacter sa vie. «Hyperactif-impulsif, troubles du sommeil… On a très vite vu que je souffrais d’un syndrome post-traumatique. Ma copine m’a emmené chez un professionnel pour y trouver de l’aide. Durant longtemps, j’ai dû éviter de regarder la télévision, et avoir autant de sommeil que nécessaire. Et je ne suis pas retourné à Liberty Place, voire au WTC avant plusieurs années.»

Mais ce drame «va aussi me permettre de trouver de l’humanité en moi,  du calme. Cela a changé beaucoup de choses dans ma vie. Ce n’est pas facile à définir en réalité. Je peux résumer en disant que cela m’a offert plus de contact avec la douceur.» La succession des événements, revécue, «m’a amené à comprendre qu’il y avait des forces plus grandes dans notre être, comme l’appréciation, la compassion, l’unicité de notre famille humaine… Cela m’a apporté un souffle de gratitude de vie, une pleine conscience d’être et de vivre le moment présent.»

Il se mobilise pour les pompiers du Squad n°1 FDNY de Brooklyn

Pour Marc de Bourcy, tendre la main à son tour devient vital. Il se mobilise alors en faveur du Squad n°1 des pompiers FDNY de Brooklyn, qui ont perdu 10 de leurs frères dans les attentats.

Le Squad n°1 FDNY de Brooklyn a bénéficié d’un beau soutien luxembourgeois. (Photo: Marc de Bourcy)

Le Squad n°1 FDNY de Brooklyn a bénéficié d’un beau soutien luxembourgeois. (Photo: Marc de Bourcy)

«Ils étaient mes voisins, des visages que je croisais sans doute dans les rues auparavant, des gens qui veillaient aussi sur notre sécurité… On a alors créé un fonds pour les enfants de ces pompiers, pour leur donner un accès plus tard aux études. Un appel a été lancé au Luxembourg pour le constituer, et il a été bien suivi. Ce sont les pompiers qui ont ensuite géré cela en direct.»

Avec des amis, il lance l’initiative «We Want Work». (Photo: Marc de Bourcy)

Avec des amis, il lance l’initiative «We Want Work». (Photo: Marc de Bourcy)

Durant l’année 2002, Marc de Bourcy lance avec des amis une initiative innovante «We Want Work» pour des jeunes professionnels qui viennent de perdre leur travail suite aux événements du 11 septembre 2001 et afin de sensibiliser des entreprises à New York pour embaucher.

Selon moi, la grandeur se définit par la volonté de se remettre debout sur ses pieds… C’était le cas de New York.
Marc de Bourcy

Marc de Bourcytémoin du 11 septembre 2001

Mais il quitte la ville au début de 2003, «une ville à genoux, des gens à genoux», pour aller s’installer à Berlin-Mitte afin de travailler avec des artistes. Il revient cependant à New York de 2004 à 2008. «Il y a eu un hommage en lumière avec des projections des Twin Towers dans le ciel.  C’était une sorte d’appel de vitalité. L’envie de vivre était à nouveau plus forte que l’agression subie. Selon moi, la grandeur se définit par la volonté de se remettre debout sur ses pieds… C’était le cas de New York. J’ai retrouvé en 2004 un endroit familier, mais qui avait aussi changé. Il y avait plus de chaleur, de solidarité et d’humanité. Avant 2001, la compétition professionnelle et l’exubérance matérielle étaient partout, même à la piscine ou au cours de yoga, tout le monde était centré sur soi, sur sa carrière, cela tuait quelque part l’âme des gens. C’était moins le cas ensuite. La ‘way of life’ de New York a pu reprendre petit à petit. Tout cela a reconstitué cette énergie si propre – le ‘zeitgeist’ – à cette ville qui fait qu’on la redore ou qu’on la repousse, mais qu’il n’y a pas de demi-mesure.»

Un équilibre entre sécurité et respect des libertés de chacun

Le témoignage de Marc de Bourcy est rare et précieux. Chaque année, il ne peut échapper aux médias, aux images des tours en feu, et évidemment aux demandes d’interview… «Je ne l’ai fait qu’une fois, en retournant sur place avec Guy Weber et Luc Rollmann de RTL en octobre 2001. Sinon, je n’ai jamais témoigné. Oui, j’ai vécu un moment extrême. Mais cet événement est un compagnon de vie privée qui fait partie de moi.»

Très inspiré par le philosophe bouddhiste vietnamien Thích Nhất Hạnh, «je crois que le leitmotiv, c’est la compassion, la résilience et l’esprit d’amour, c’est ce que j’ai appris du 11 septembre et ce ne sont pas des choses acquises. La force de nos systèmes démocratiques est de chercher cet équilibre entre la protection de notre sécurité et la protection du maintien de nos libertés, la bonne balance est un défi pour toute démocratie moderne. Que l’on puisse vivre ensemble en paix – à l’abri du besoin, à l’abri de la peur, avec la liberté pour tous préservée dans la dignité – est l’une des grandes réussites de l’Europe. Mais il faut y veiller, le projet européen n’est pas un être, mais un devenir. Mon message, c’est celui-là.»