Maître Lynn Frank
«Comment peux-tu défendre quelqu’un qui a tué?» Voilà une question que Lynn Frank entend souvent, à laquelle elle répond: «C’est mon job, mais cela ne veut pas dire que j’approuve l’acte, et chacun a droit à une bonne défense par respect pour les droits de l’Homme.» D’autant plus qu’elle déclare adorer plaider, la procédure orale apportant son lot de situations surprenantes. «L’affaire peut changer de direction à tout moment. Le client prévoit de passer aux aveux et, devant le juge, il se rétracte.» Plaçant l’individu au centre de l’affaire qu’elle traite, elle s’est par exemple demandé comment un adolescent sans intention criminelle s’était laissé attirer par une dynamique de groupe dans un meurtre. Passionnée de sport, elle intervient régulièrement dans le droit du sport. Diversifier les domaines du droit reste primordial pour elle. «De temps en temps, je trouve que j’ai développé un argumentaire que je n’aurais pas eu si je n’avais été que dans le droit pénal.»
Maître André Lutgen
André Lutgen est dans sa 49e année de pratique judiciaire. Avec une spécialisation dans les affaires de criminalité financière, sa carrière compte aussi trois années passées au Parquet et 12 autres comme juge d’instruction. «Le crime financier m’a toujours intéressé. C’est technique et parfois politique.» En tant que magistrat, il a eu l’occasion de travailler sur des affaires complexes, telle que celle des faux bilans de la Centrale Paysanne ou de Banco Ambrosiano. Dans le rôle de l’avocat, qu’il a occupé pour les liquidateurs de la BCCI de 1993 à 1999 et a joué un rôle déterminant dans les affaires Clearstream de 2001 à 2004, PanEuroLife de 2001 à 2009, ou encore de KBL de 2007 à 2012. Il s’est spécialisé dans l’organisation de la défense à l’international. Ses expériences de magistrat influencent son travail d’avocat. «C’est plus qu’un stage!» Il a également contribué à la sensibilisation de la Place à la prévention du blanchiment, donnant des conférences dès la fin des années 80. «Aujourd’hui, la matière est devenue d’une technicité extrême.»
Maître Lydie Lorang
Au début de sa carrière, Lydie Lorang pratique le droit de la famille, mais se lance peu à peu dans le droit des affaires. Elle déclare «avoir eu la chance de trouver un associé dans un domaine du droit qui n’était pas favorable aux avocates». Une trentaine d’années plus tard, elle fonde son cabinet actuel. «Je me suis dit que si je ne le faisais pas, je ne le ferais plus.» Face à la sous-représentation des femmes dans le métier, elle répond que, pourtant, «elles sont plus dubitatives». Ce qui les amène à se remettre souvent en cause. Une qualité essentielle, selon elle. Voilà une compétence qui l’a par exemple soutenue dans l’affaire du Bommeleeër (affaire des attentats à la bombe entre 1984 et 1986, toujours non élucidée). «Pendant 173 auditions, je me suis demandé ce que nos mandants faisaient là. Quand je les vois souffrir, cela m’affecte.» Elle insiste à cet égard sur le fait que les juges ressentent quand un avocat ne croit pas en son client.
Maître Rosario Grasso
se souvient que l’une de ses tantes, parmi les premières femmes avocates en Sicile, l’emmenait au tribunal quand il passait ses vacances chez elle. Plus tard, son père, fonctionnaire au ministère italien des Affaires étrangères, lui a dit: «Si tu fais du droit, toutes les portes s’ouvrent.» Il s’est ainsi lancé dans des études de droit. La criminalité en col blanc l’a attiré. «En début de carrière, mon patron m’a permis d’avoir ma propre clientèle.» Il s’est donc arrangé pour passer le plus possible devant le cabinet d’instruction pour se voir attribuer des commissions d’office et développer son expertise pénale. Au début des années 2000, des dossiers financiers importants commencent à voir le jour au Luxembourg, où il valorise son expérience. Depuis lors, il observe également un rôle préventif de l’avocat pénaliste. «Avec les compliance officers, les entreprises veulent évoluer dans le respect de la loi.» Bâtonnier de 2014 à 2016, l’un de ses combats a été de s’engager pour une rémunération digne en faveur des jeunes avocats.
Maître François Prum
Ancien bâtonnier de 2016 à 2018, s’est toujours investi dans les activités de la profession. Avant son mandat, il était par exemple vice-président du conseil disciplinaire et administratif des avocats. Un certain état d’esprit l’a ensuite suivi: «En devenant bâtonnier, on devient le garant de la profession.» Et aussi une posture lorsqu’il prend la défense d’avocats: «Être défendu par un ancien Bâtonnier, ça envoie un message très clair.» Il jouit d’une grande réputation en droit pénal des affaires et intervient ainsi dans des affaires d’escroquerie, de faux ou de blanchiment. Une affaire dans laquelle il défendait une minorité kurde pour des fonds gelés l’a particulièrement marqué. «Lorsque j’ai consulté le dossier pénal à Ankara, je me suis retrouvé dans une salle entouré des policiers cagoulés et armés qui nous surveillaient.» Il souligne l’importance de passer du temps avec ses clients pour établir une relation de confiance, indispensable pour une bonne défense: «Il faut pouvoir se mettre à la place de la personne que l’on défend.»
Maître Pol Urbany
«J’avais prévu de suivre des études médicales.» Quand on discute avec Pol Urbany, on se rend compte de la diversité de ses passions. Pilotage, ingénierie du son, musique… Son ouverture d’esprit lui sert dans son quotidien d’avocat pénaliste, comme lorsqu’il a représenté les familles des victimes dans le crash d’un avion Luxair en 2002. «En filtrant le fichier son de la boîte noire du cockpit, j’ai identifié que le capitaine qui avait survécu était aux commandes lors du crash, alors qu’il prétendait que c’était son co-pilote décédé.» Amateur d’affaires complexes et procédurier, il met l’accent sur la recherche des faits, «pour éviter l’erreur judiciaire à cause d’enquêtes mal faites, ou des instructions menées seulement à charge des suspects». Il a par ailleurs rapidement appris «que la plus grande lutte d’un avocat n’était souvent pas celle contre le procureur, mais la lutte contre les préjugés d’un magistrat».
Maître François Moyse
Intéressé par la politique et la diplomatie, s’est lancé dans le droit avec l’objectif de comprendre les institutions. «Les règles, c’est du droit.» À défaut d’aimer les affaires violentes, il préfère les dossiers complexes. Ainsi est née sa vocation de pratiquer le droit pénal économique. Citant l’exemple de quelques dossiers de faux et usage de faux, il pointe l’absence de techniques de pointe dans les expertises: «Je regrette qu’un accusé risque une condamnation lorsque la justice a recours à un expert qui n’est pas graphologue de formation, avec des procédés qui font penser à l’affaire Dreyfus du point de vue technique.» Il a fait des droits humains sa spécialité, plaidant les violations de la Convention européenne des droits de l’homme. Sa plus grande fierté dans sa carrière: «J’ai fait acquitter un client à la barre.» Au quotidien, c’est en échangeant avec des ténors des Barreaux de Bruxelles et de Paris qu’il retire «une source de fierté, d’inspiration et d’exemplarité».
Maître Frank Rollinger
Frank Rollinger envisageait une carrière d’enseignant, mais c’est la profession d’avocat qui l’a attiré. Il exerce un métier qu’il qualifie de «vivant». «On collabore avec énormément de personnes différentes, de toutes classes sociales.» Selon lui, le droit pénal constitue une excellente école. «On est toujours perdant au début. L’avocat travaille seul contre toute une machine.» C’est ce qu’il a par exemple vécu dans l’affaire du meurtre de Hassel (meurtre à la hache d’un homme de 69 ans, commis dans la nuit du 1er novembre 2010 à son domicile et durant son sommeil), pour lequel trois personnes ont été condamnées à perpétuité en première instance avant d’être acquittées en mars 2015, en deuxième instance: «Les policiers établissent des notes de synthèse, laissant parfois de côté des nuances et ne rendant pas toujours une image fidèle du dossier.» Un autre de ses combats: «Avoir le courage de démontrer que certaines affaires politico-médiatiques ne méritent pas d’arriver en audience, car vides. Elles impacteront à vie les acquittés de manière négative.»
Maître Philippe Penning
«L’avantage d’être libre et indépendant.» Voilà ce qui a attiré Philippe Penning vers le droit, bien que «tombé dedans petit comme Obélix dans la marmite de potion magique». Dans l’idée que «le droit mène à tout», il a débuté sa carrière avec des dossiers de contentieux. «Depuis la présence quasi systématique d’avocats en cas d’arrestation, on faisait aussi appel à moi en dernière minute pour des interrogatoires devant le juge d’instruction, vu la proximité de nos bureaux.» De la sorte, il a glissé vers le pénal avec des affaires de plus en plus spectaculaires. L’affaire Bejaoui, le preneur d’otages de Wasserbillig, en 2000, a ainsi tracé sa voie d’avocat pénaliste. Son parcours d’études l’a notamment amené à Washington et Munich, dont il en ressort avec un attachement pour les langues. «Les lois sont en français, on plaide en luxembourgeois sur un PV en allemand et avec des documents en anglais.» En tant que président de l’Association luxembourgeoise des avocats pénalistes, il défend aussi un renforcement des moyens alloués aux enquêteurs, ce qui permettrait d’accélérer les affaires criminelles financières, également au bénéfice des victimes.
Maître Gaston Vogel
Après 60 ans de Barreau, quand on lui demande les raisons qui l’ont mené au droit pénal, répond: «C’est une vocation.» Une vocation pour l’art oratoire, qui est née lors de son cycle de lycée classique où l’étude du latin était obligatoire, accompagnée de cours de littérature. Arrivé dans l’enseignement supérieur, «ce fut l’année la plus prodigieuse de ma vie», s’exclame-t-il, où il y a appris la philosophie morale et la logique formelle. «C’était très dur. On était 33 pour faire l’examen, on n’était plus que trois pour le passer.» Une dureté qui l’a suivi. «Je suis un humaniste, mais extrêmement sévère avec les autres et moi-même. Je ne tolère pas qu’on puisse aborder l’angoisse humaine de façon banale.» C’est bien ça qui le motive dans sa profession: l’humain! Il est d’ailleurs aussi formé à la psychiatrie. «Je travaille sur le tissu humain. Je ne traite que des affaires où quelqu’un a eu un point de cassure, où soudain l’existence s’est projetée contre le mur.»
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 30 mars 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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