Viviane Reding (CSV), l’ancienne commissaire européenne a accordé une interview à Paperjam, publiée . Voici un condensé des meilleures «punchlines» de celle qui laissera son fauteuil à la Chambre des députés dans quelques jours.
vous retirer de la politique active le 1er octobre prochain, après 43 ans de carrière. C’est une décision à laquelle vous réfléchissiez depuis longtemps?
. – «Oui, j’y pense depuis deux ans environ. Une chose était certaine, je ne voulais plus aller aux élections législatives en 2023. Ça, c’était clair! J’ai connu 10 élections (Viviane Reding a été élue au Parlement européen en 1989, 1994, 1999, 2004, 2009 et 2014, mais également à la Chambre des députés en 1979, 1984, 1989 et 2018, après avoir siégé au conseil communal d’Esch-sur-Alzette entre 1981 et 1999, commune dont elle est originaire, ndlr), j’ai vu que lorsque je me présentais en tête à une élection, je la gagnais. Mais si j’étais plutôt au milieu de plusieurs candidats, j’étais toujours frustrée. Je suis quelqu’un qui prend les choses en main, qui résout les problèmes, qui trouve les solutions, et je me sens très mal à l’aise lorsqu’il faut être dans l’arrière-garde. Je sais gagner des élections, mais il faut que j’aie la liberté de le faire.
Et vous vous sentiez moins libre justement?
«Je me sentais une parmi d’autres, et cela me plaisait moins. J’aurais su gagner les prochaines élections législatives, mais j’avais décidé de ne pas me présenter à de nouveaux scrutins en 2023. Ensuite, j’ai longtemps réfléchi à comment me retirer de la vie politique active, et j’ai décidé de le faire un an avant pour que la rentrée parlementaire puisse être faite par un(e) nouveau (elle) candidat(e), et qu’il ou elle ait un an pour se préparer et se faire connaître. J’aurais pu terminer mon mandat, mais je ne trouvais pas cela fair-play.
En parcourant votre CV, on peut voir qu’il y a un poste que vous n’avez pas occupé au niveau national: celui de ministre. Vous a-t-on déjà proposé un poste de ministre?
«Oui, mais rien qui m’intéressait.
J’aurais su gagner les prochaines élections législatives, mais j’avais décidé de ne pas me présenter à de nouveaux scrutins en 2023.
Votre démission signifie-t-elle votre départ à la retraite?
«Non, vous ne pouvez pas imaginer que je ne fasse rien [rires]. Il y a deux domaines dans lesquels je me suis spécialisée: la géopolitique et son influence sur la société, et les entreprises qui travaillent à l’international. Je conseille notamment des entreprises internationales pour leur expliquer comment la politique risque d’évoluer.
Vous intéressez-vous aussi à des sujets pointus?
«Oui, lorsque j’étais membre de la Commission européenne (Viviane Reding en a été membre de 1999 à 2014, successivement à l’éducation, la culture, la jeunesse, les médias et sports, puis à la société de l’information, recherche technologique et aux médias, et à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté), j’étais forcée de réfléchir sur des dossiers que je ne connaissais pas, j’ai trouvé que c’était une méthode géniale pour garder sa capacité intellectuelle. Ainsi, tous les trois ans, je choisis un sujet que je ne connais pas, et puis je me lance dessus. En ce moment, j’étudie le ‘quantum computing’, et je suis aussi présente dans des ‘advisory boards’ européens pour le développer.
Auriez-vous aimé être cheffe d’entreprise?
«Oh oui, je me serais très bien vue en cheffe d’entreprise.
Et pourquoi ne pas avoir sauté le pas?
«Parce que je réussissais trop bien en politique [rires]. Mais si j’étais un peu plus jeune, je me lancerais, c’est sûr. Mais là, je fais du conseil donc ce n’est pas mal aussi, surtout parce que je vois ces dirigeants qui sont des fortes personnalités, et qui savent vers où développer leur entreprise. Les aider à ce que leur projet devienne un succès m’intéresse énormément.
La fin du roaming m’a beaucoup amusée parce que c’était vraiment David contre Goliath.
Quels sont vos meilleurs souvenirs en tant que Commissaire européenne?
«Par exemple, changer le système Erasmus en Erasmus Mundus. Vous savez qui ont été les premiers à vouloir négocier? Les Chinois. Ils avaient compris qu’ils avaient besoin de jeunes qui étaient très bien formés, au-delà de la Chine. La création de fonds nationaux pour le cinéma aussi est un souvenir fort. Le Film Fund Luxembourg que nous avons aujourd’hui découle de ça. J’utilise toujours la même méthode: je pars d’un problème, et je vois ce que je peux utiliser pour le résoudre.
Au niveau de la recherche technologique: j’y ai trouvé un magma incroyable. Avec mon esprit très organisé, je me suis dit qu’on avait les meilleurs chercheurs au monde, mais dans ce magma ils étaient perdus. Donc pour mettre de l’ordre, j’ai créé des plateformes technologiques, au sein desquelles collaborent les grandes entreprises, les PME, les start-up et les universités, jusqu’à ce qu’ils arrivent à une recherche précommerciale.
Beaucoup se souviennent aussi du RGPD (Règlement général sur la protection des données) que vous avez initié…
«Bien sûr, le RGPD a été une bagarre contre les Américains, contre les Gafam. Ils ont essayé de faire du lobbying sur les Commissaires, ils ont envoyé 80 ingénieurs lobbyistes, c’était intéressant, mais on a gagné. Mais c’était de très longues et compliquées histoires, j’ai toujours travaillé avec le Parlement européen, qui était mon meilleur allié, et que je connaissais. Car la plupart des décideurs à la Commission ne connaissent pas le Parlement et ne savent la force de manœuvre qu’il peut avoir si on sait l’utiliser.
Il y a beaucoup de choses qui ont magnifiquement réussi, et qui ont changé le cours de la vie des citoyens. Pour le cinéma, j’en suis vraiment fière et pourtant ce n’est pas le plus connu. Le numéro 112 aussi, c’est moi. Je ne suis pas quelqu’un qui fait de la théorie, je regarde ce qui ne va pas en pratique, sur le terrain, la vie des gens. La fin du roaming aussi, ça m’a beaucoup amusée parce que c’était vraiment David contre Goliath, et les grands groupes télécoms européens, un monde d’hommes, n’auraient jamais pensé que quelqu’un pouvait le faire.
Ils ne vous ont pas prise au sérieux?
«Non, au début ils ne me prenaient pas au sérieux, ce qui était très bien, puisque cela me permettait d’avancer très loin avant qu’ils ne se réveillent. Le fait d’être une femme et le fait d’être une Luxembourgeoise m’ont toujours servi, ils ne me voyaient pas venir.»