Ariane Claverie, avocat à la Cour et partner, et Eloïse Hullar, juriste, au sein du cabinet Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg, répondent aux questions que les employeurs et les salariés peuvent se poser durant la période de déconfinement. (Photo: Shutterstock)

Ariane Claverie, avocat à la Cour et partner, et Eloïse Hullar, juriste, au sein du cabinet Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg, répondent aux questions que les employeurs et les salariés peuvent se poser durant la période de déconfinement. (Photo: Shutterstock)

Mesures de sécurité, droit de retrait, pose de congés, voyages d’affaires, congés pour raisons familiales… Avec le déconfinement et le retour au bureau, les questions concernant les obligations des employeurs comme des employés sont légion. Décryptage d’, avocat à la Cour et partner, et d’Eloïse Hullar, juriste, au sein du cabinet Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg.

1/ L’employeur peut-il obliger ses salariés à revenir au bureau?

«Pour un salarié qui avait dû arrêter de travailler du fait que l’entreprise n’avait plus suffisamment de travail à lui fournir (le salarié étant par exemple placé en chômage partiel), l’employeur est bien sûr en droit de , dès que l’activité de l’entreprise rend une telle reprise nécessaire. Le salarié devra se soumettre à une telle demande, sauf cas d’absence autorisée (incapacité de travail, congé pour raisons familiales, ou autre).

Si un salarié avait dû , l’employeur qui souhaite le voir reprendre son poste sur son lieu de travail peut le lui imposer, dans la mesure où il ne s’agit que de l’application du contrat de travail, mais il conviendra pour l’employeur de tenir compte de l’éventuelle clause relative à la durée du télétravail prévue par l’avenant de télétravail, si les parties en ont signé un.

Si les conditions sanitaires sont adéquates sur le lieu de travail, et en fonction des circonstances, les salariés qui refuseraient de revenir travailler sur le lieu de travail pourraient se voir infliger une sanction disciplinaire.

2/ Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de santé et sécurité pour le retour au bureau?

«Au-delà des obligations habituelles de l’employeur,  s’impose en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans le contexte spécifique de la pandémie de Covid-19. Dès lors, les employeurs devront entre autres:

- éviter les risques et évaluer tout risque pour la sécurité et la santé des salariés qui ne peut pas être évité par rapport à ces circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de Covid-19;

- informer et former, en collaboration avec la délégation du personnel, les salariés sur les risques éventuels pour la sécurité et la santé, les précautions à prendre, le port et l’emploi des équipements et des vêtements de protection, ainsi que sur les prescriptions en matière d’hygiène;

- aménager les postes de travail et autres locaux ou lieux de travail dans lesquels les salariés sont susceptibles d’exercer leur activité professionnelle en fonction de ces circonstances exceptionnelles;

- fournir aux salariés des équipements de protection individuelle, y compris des vêtements de protection appropriés, adaptés aux circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de Covid-19;

- mettre à la disposition des salariés des sanitaires appropriés, leur permettre l’accès à un point d’eau, du savon et des serviettes de papier jetables ou leur fournir des produits désinfectants;

- veiller à ce que les salariés respectent une distanciation physique appropriée et, à défaut, que les salariés portent un masque ou tout autre dispositif permettant de recouvrir le nez et la bouche d’une personne physique et, si besoin, d’autres équipements de protection individuelle;

- veiller à ce que les locaux et les sols soient régulièrement nettoyés;

- veiller à ce que les surfaces de travail soient nettoyées et désinfectées.

Les mesures concernant la sécurité et la santé au travail ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières pour les salariés.
Ariane Claverie

Ariane Claverieavocat à la Cour et partnerCastegnaro – Ius Laboris Luxembourg

En outre, les employeurs devront prendre les mesures appropriées pour que les salariés des entreprises ou établissements extérieurs intervenant dans son entreprise ou son établissement reçoivent des informations adéquates concernant les points visés ci-dessus.

Lorsque, dans un même lieu de travail, les salariés de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en œuvre des dispositions visées ci-avant, relatives à la sécurité et à la santé au travail et coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels.

Les mesures concernant la sécurité et la santé au travail visées ci-avant ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières pour les salariés.

3/ Le salarié peut-il opposer un droit de retrait, et si oui, à quelles conditions?

«Le salarié peut exercer un droit de retrait en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité (article L. 312-4 (4) du Code du travail). Ainsi, il conviendra de vérifier si la situation dans laquelle se trouve le salarié répond effectivement à ces critères. À titre d’exemple, la seule crainte du salarié d’être contaminé ne saurait à notre sens justifier un tel droit de retrait.

Toutefois, en raison de la situation actuelle, il a été précisé par un  que, pendant l’état de crise:

- le salarié doit signaler immédiatement, à l’employeur et/ou aux salariés désignés et aux délégués à la sécurité et à la santé, toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé dans le cadre de l’épidémie de Covid-19;

- le salarié qui, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse, ne peut en subir aucun préjudice. La résiliation d’un contrat de travail effectuée par un employeur en violation de ces dispositions est abusive.

Dans ce contexte, les salariés devraient, avant d’exercer leur «droit de retrait», signaler immédiatement à l’employeur et/ou aux salariés désignés et aux délégués à la sécurité et à la santé toute situation de travail dont ils ont des raisons de croire qu’elle présente un danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, permettant ainsi, le cas échéant, à l’employeur de prendre les mesures et dispositions appropriées si nécessaire.

4/ L’employeur peut-il contraindre un salarié à effectuer un voyage d’affaires?

«Les déplacements professionnels peuvent être effectués, pour autant que l’employeur respecte les recommandations des autorités nationales compétentes. Toutefois, il est recommandé de n’imposer des déplacements professionnels qu’en cas de stricte nécessité.

L’employeur qui viendrait à imposer à son salarié d’effectuer un voyage d’affaires dans une zone particulièrement touchée par la pandémie, en dépit des recommandations des autorités locales, pourrait être considéré comme ne remplissant pas son obligation légale de santé et de sécurité et pourrait, le cas échéant, voir sa responsabilité engagée.

Il convient de noter à cet égard que le salarié peut exercer son «droit de retrait», si le déplacement professionnel envisagé le place dans un cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité.

5/ L’employeur peut-il être mis en cause si un salarié déclare le Covid-19 après le retour au bureau?

«En premier lieu, il convient de noter que, selon l’Association d’assurance contre les accidents, le salarié doit consulter son médecin traitant afin qu’il remplisse une déclaration médicale d’une maladie professionnelle. Si le salarié travaille comme personnel soignant ou qu’il est particulièrement exposé à des risques similaires de contagion en raison de son activité professionnelle, il bénéficie d’une présomption en sa faveur.

Si le salarié n’est pas particulièrement exposé à des risques similaires de contagion, en raison de son activité professionnelle, il lui revient de rapporter la preuve qu’il a contracté le Covid-19 sur son lieu du travail.

Théoriquement, la responsabilité pénale de l’employeur pourrait être recherchée s’il était retenu que la maladie du salarié était la suite d’un défaut de prévoyance ou de précaution de l’employeur, sans intention d’attenter à la personne du salarié.
Ariane Claverie

Ariane Claverieavocat à la Cour et partnerCastegnaro – Ius Laboris Luxembourg

Par ailleurs, même dans la mesure où il s’agirait d’une maladie professionnelle, la responsabilité civile de l’employeur ne pourrait pas être engagée. En effet, les salariés ne peuvent, en raison de la maladie professionnelle, agir judiciairement en dommages-intérêts contre leur employeur, à moins qu’un jugement pénal n’ait déclaré les défendeurs coupables d’avoir provoqué intentionnellement la maladie professionnelle. Dans ce dernier cas, les salariés ne peuvent agir que pour le montant des dommages qui n’est pas couvert par l’assurance.

Théoriquement, la responsabilité pénale de l’employeur pourrait être recherchée s’il était retenu que la maladie du salarié était la suite d’un défaut de prévoyance ou de précaution de l’employeur, sans intention d’attenter à la personne du salarié. De manière plus concrète, en cas de non-respect des mesures de protection imposées par le règlement grand-ducal du 17 avril 2020, l’employeur encourt une peine d’emprisonnement de 8 jours à 6 mois, et/ou une amende de 251 à 25.000 euros (jusqu’à 50.000 euros pour les personnes morales).

6/ Le salarié peut-il faire une demande de congé pour raisons familiales après le 25 mai?

«Le gouvernement a annoncé, le 5 mai dernier, que le droit au congé extraordinaire pour raisons familiales prendra en principe fin avec la reprise de l’enseignement fondamental et des structures d’accueil prévue le 25 mai.

Toutefois, il a été précisé que le congé extraordinaire pour raisons familiales pourra être prolongé dans les cas suivants:

- pour la prise en charge d’un enfant vulnérable;

- si aucune place d’accueil n’est disponible;

- pour les enfants de moins de 3 ans, les parents auront le choix soit de bénéficier d’un congé pour raisons familiales, soit de l’inscrire dans une structure d’accueil.

Aussi,  un projet de loi portant modification du Code du travail concernant le dispositif du congé pour raisons familiales. Ce projet de loi propose d’élargir le champ d’application légal du congé pour raisons familiales pour couvrir les cas qui ne sont pas dus à une maladie de l’enfant, mais à des mesures d’organisation des structures nécessaires pour lutter contre la propagation du Covid-19. Le texte inclut également parmi les cas de maladie de l’enfant celui de la vulnérabilité médicale de l’enfant.

7/ Jusqu’à quand l’employeur peut-il poursuivre le chômage partiel?

« pour force majeure liée au Covid-19 pour autant qu’elles subissent un impact négatif du Covid-19 sur leur marche d’affaires et sous réserve de l’accord préalable obligatoire du Comité de conjoncture économique. À titre de rappel, les entreprises doivent formuler une demande chaque mois avec une pièce justificative qui doit être signée par l’employeur.

En outre, les entreprises qui ont dû arrêter complètement ou partiellement leurs activités suite à une décision gouvernementale demeurent, à titre exceptionnel, directement éligibles au chômage partiel, dès la date de prise d’effet de la décision gouvernementale à l’origine de leur fermeture totale ou partielle.

Toutefois, les entreprises initialement touchées par une décision gouvernementale, et qui sont désormais autorisées à exercer leur activité, tombent sous «le régime classique de chômage partiel» et devront dès lors obtenir l’accord préalable du Comité de conjoncture.

Il semble cependant que, selon une information donnée par l’Adem par téléphone, les entreprises qui avaient dû cesser leurs activités sur décision gouvernementale et qui ont pu les reprendre à compter du 11 mai 2020 restent éligibles au chômage partiel pour tout le mois de mai 2020.

8/ D’ici la fin de l’année, l’employeur peut-il imposer des dates de congés à ses salariés?

«Selon l’article L. 233-10 du Code du travail, ‘, à moins que les besoins du service et les désirs justifiés d’autres salariés de l’entreprise ne s’y opposent’. Ainsi, l’employeur ne peut en principe pas imposer des congés à un salarié, que ce soit pour des raisons économiques, voire organisationnelles, ou pour toute autre raison.

L’employeur peut toutefois, dans le cadre de son organisation interne, inciter les salariés à prendre des congés. Aussi, il convient de rappeler que, conformément aux exigences résultant du droit de l’Union européenne, l’employeur a l’obligation de veiller à mettre effectivement le salarié en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé.

Ce, notamment par une «information adéquate» consistant à inciter le salarié, au besoin formellement, à prendre ses congés annuels payés, tout en l’informant, de manière précise et en temps utile, du fait que s’il ne prend pas ses congés, ceux-ci seront perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisée.

Finalement, il conviendra de se conformer aux dates fixées dans le cadre de congés collectifs prévus d’un commun accord entre l’employeur et la délégation du personnel ou à défaut, les salariés.

9/ À l’inverse, le salarié peut-il demander d’annuler des congés déjà accordés?

«En principe, les congés étant fixés d’un commun accord entre les parties, il ne serait possible d’y revenir que d’un commun accord. Dès lors, le salarié ne peut en principe pas unilatéralement annuler les congés qu’il avait préalablement posés, sauf s’il pouvait se prévaloir d’un usage dans ce sens au sein de l’entreprise.

10/ Au même titre que la mise au télétravail, le retour au bureau nécessite-t-il de réaliser un avenant au contrat de travail des salariés?

«Le retour du salarié au travail ne nécessite en principe pas la conclusion d’un avenant au contrat de travail, dans la mesure où il ne s’agit que de l’application du contrat de travail, mais il conviendra pour l’employeur de tenir compte de l’éventuelle clause relative à la durée du télétravail prévue par l’avenant de télétravail, si les parties en ont signé un».