«Animer une réunion d’équipe, c’est certes vouloir passer des messages clés, mais surtout veiller à ce qu’il soit entendu, compris et retenu. Ces trois mots sont fondamentaux pour notre prise de parole», affirme la synergologue Véronique Millet. (Photo: Shutterstock)

«Animer une réunion d’équipe, c’est certes vouloir passer des messages clés, mais surtout veiller à ce qu’il soit entendu, compris et retenu. Ces trois mots sont fondamentaux pour notre prise de parole», affirme la synergologue Véronique Millet. (Photo: Shutterstock)

En réunion, en entretien, ou à l’annonce d’une décision sensible, les leaders s’expriment avec des mots autant qu’avec leurs gestes. Analyse et conseils de la synergologue Véronique Millet, spécialiste du langage corporel et conférencière en France comme au Luxembourg.

La synergologie, c’est l’étude du langage du corps. Elle permet de comprendre ce que quelqu’un ressent ou pense, sans qu’il ait besoin de le dire. Pour cela, on observe ses gestes, sa posture et ses minuscules expressions du visage.

Cette méthode inventée dans les années 1990 repose sur l’idée que notre corps en raconte souvent plus que nos mots, même sans que l’on s’en rende compte. Souvent utilisée dans le monde du travail, elle est au cœur des travaux de la formatrice et conférencière Véronique Millet, active en Lorraine comme au Luxembourg. Nous lui avons soumis dix situations professionnelles au cours desquelles les managers ont intérêt à surveiller leurs paroles autant que leur gestuelle.

• Situation n°1: l’entretien d’évaluation

Comment un manager peut-il montrer de louverture et de l’écoute sans adopter une posture trop rigide ou fermée?

Véronique Millet. – «La première impression est fondamentale tant pour le candidat que pour le manager, car elle restera ancrée tout au long de l’entretien. Être à l’aise et mettre à l’aise sont deux facteurs clés pour inviter le candidat à être le plus authentique possible. Une respiration fluide, des mains paumes ouvertes sur la table sont deux exemples de bonnes pratiques. À ceci s’ajoutent une voix posée, une aisance corporelle fluide et un positionnement sur la chaise de face, et légèrement incliné vers le candidat. En effet, le manager évitera de s’asseoir en coin, au risque de faire ressentir à son interlocuteur une mise à distance. De même, le positionnement de l’axe de tête est pertinent: un manager à l’écoute, dans le lien, orientera naturellement un axe de tête plutôt côté gauche.

Et un dernier point intéressant concerne les silences. Un bon dosage de ces silences, en lien avec une posture cohérente, renforce l’image d’un manager à l’écoute, sûr de lui, et respectueux de la parole de son interlocuteur.

• Situation n°2: lannonce dune décision difficile

Quelles erreurs corporelles éviter pour ne pas paraître froid, hésitant ou trop autoritaire?

«L’annonce d’une décision difficile peut générer différents états émotionnels, comme de la colère, de la peur, du mépris. De ces états s’initient des changements physiologiques dans notre corps, ce qui laisse apparaître une lecture du langage non verbal. Et de là découlent notre pensée et notre langage verbal, et non l’inverse.

Prenons l’exemple du mépris ou même parfois de la colère, nous pourrons apercevoir des gestes ascendants, comme l’axe sagittal (tête vers le haut), appelé également “axe de la hiérarchie” qui peut exprimer l’idée de supériorité, et donc de mise à distance. Les mains en V ascendantes renforcent aussi ce même ressenti: “Je suis celui qui sait, qui représente l’autorité.” Dans l’exemple de la peur, le regard peut devenir fuyant car l’annonce n’est pas assumée ou difficile à annoncer, avec peut-être même un corps en arrière montrant une envie de fuir cet instant. Bien évidemment en prenant conscience de ces grilles de lecture, on devine que ce sont des gestes à éviter. En tant que synergologue, je conseille plutôt de changer son état émotionnel en amont. Au lieu de se dire “Je dois gérer une annonce difficile”, il est préférable de se dire “J’ai ce message à lui partager”. D’emblée, en lisant ces deux phrases, je suis certaine que vous ne ressentez pas les mêmes émotions.

Si je me laisse embarquer par un état émotionnel lié à la peur, mon corps va l’exprimer et le langage verbal suivra.
Véronique Millet

Véronique Milletsynergologue

• Situation n°3: la gestion dun conflit

Comment un manager peut-il afficher une posture dapaisement et de contrôle sans donner limpression d’être sur la défensive ou agressif?

«Je vais reprendre la même approche que dans la question précédente, en posant cette question: quel est l’état émotionnel à adopter pour une gestion de conflit? Si je me laisse embarquer par un état émotionnel lié à la peur, mon corps va l’exprimer et le langage verbal suivra. L’état d’esprit à adopter est la neutralité et le manager doit resté concentré sur les éléments factuels liés au conflit. Cela évitera d’être influencé par les émotions des uns et des autres pour, au final, avoir plus de difficultés à trouver une solution concrète. Ces deux éléments, neutralité et élément factuels, vont amener à avoir une posture d’apaisement et de contrôle. La posture sera neutre, avec par exemple une position sur la chaise centrale.

Un regard assuré en lien avec les éléments factuels partagés aura plus de poids et donnera plus de crédibilité. Le tout associé à une gestuelle ouverte pour montrer une volonté de lien. Et l’idée de rassembler les deux parties, du “construire ensemble”, pourra être lue dans les mains jointes.

• Situation n°4: une réunion d’équipe

Quels gestes peuvent favoriser lengagement et éviter de paraître distant, ennuyé ou dominateur?

«Tout est dit à travers le mot “engagement”. Animer une réunion d’équipe, c’est certes vouloir passer des messages clés, mais surtout veiller à ce qu’il soit entendu, compris et retenu. Ces trois mots sont fondamentaux pour notre prise de parole. Ils vont répondre à un point précis: quelle est mon intention? De la réponse va découler votre façon d’être. En effet, est-ce que sur ce sujet-là, je cherche à les convaincre, les informer, les bousculer, les faire participer…? La liste peut être longue. De cette intention, votre corps et votre pensée vont suivre. Et vos différentes intentions, en fonction des sujets abordés, vont rythmer votre réunion.

Imaginons: vous êtes sur un sujet dont l’intention est de convaincre. Votre corps bien ancré au sol sera face au public, avec une gestuelle ample, affirmée, parfois même avec les doigts, pouce et index de la main droite, en pince pour appuyer un mot clé. Votre regard veillera à englober avec assurance tous les participants. Et votre voix, sujet passionnant à étudier, sera posée, rythmée, et accompagnée de micro-silences pour faire ressortir certains chiffres, certains mots.

• Situation n°5: laccueil dun nouveau collaborateur

Quelles attitudes corporelles permettent dinstaurer un climat de confiance dès le premier contact?

«Vous connaissez certainement l’expression de Coco Chanel: “Vous n’aurez pas deux fois l’occasion de faire une bonne impression.” Cette idée est intéressante pour faire référence à votre cerveau qui va se nourrir de votre intuition, propre à tout individu, pour donner du sens à toute situation. Eh oui, votre cerveau n’aime pas le vide. La première rencontre est donc importante pour donner le meilleur de soi, car cette première impression sera le socle de la rencontre. Deux expressions corporelles répondent parfaitement à l’idée d’instaurer un climat de confiance: la poignée de main doit être ferme, assurée, tout en liant un premier contact visuel. Le tout rehaussé d’un sourire, un vrai sourire, celui faisant référence au neurologue Guillaume Duchenne, pionnier en photographie médicale du XIXe siècle. Un sourire authentique est marqué par la contraction des muscles zygomatiques qui génèrent un sourire équilibré des deux côtés du visage. Et le détail à regarder en priorité concerne de petites rides formées autour des yeux. Elles ne mentent pas et ne sont aucunement liées à l’âge. Et donc pour faire bonne figure, initiez en premier un sourire sincère, vous verrez que la magie des neurones miroirs ne laissera pas de marbre votre interlocuteur.

Installée à Nancy et à Luxembourg, Véronique Millet est une spécialiste du langage corporel. (Photo: DR)

Installée à Nancy et à Luxembourg, Véronique Millet est une spécialiste du langage corporel. (Photo: DR)

• Situation n°6: la délégation dune tâche

Comment éviter de donner limpression dun désengagement ou dun excès de contrôle?

«Savoir pourquoi on fait certains choix et les faire comprendre tout en étant à l’écoute de suggestions. Cette façon de voir est un socle intéressant pour aborder l’entretien lié à la délégation d’une tâche. Un point nouveau met en exergue la sélection des mots et des verbes choisis. Votre conviction à déléguer une tâche va être moteur pour adopter un langage positif qui encourage l’autonomie et la responsabilité. Tout en reconnaissant les compétences et les contributions du collaborateur. En effet, nous sommes intéressés à la lecture du langage corporel, mais celui-ci ne peut être dissocié du langage verbal. Comme évoqué, la verbalisation de nos pensées est le résultat de notre émotion. Définir votre intention en amont va influer sur votre comportement et votre langage verbal. Dans ce cas précis, une communication valorisante renforce le sentiment d’appartenance et montre que ce changement s’inscrit dans une logique de développement mutuel, et non de contrôle excessif.

• Situation n°7: la gestion dun désaccord avec sa direction

Comment maintenir une posture qui exprime le respect et lassurance sans paraître soumis ou arrogant?

«La gestion d’un désaccord avec sa direction est souvent générateur de stress. Stress qui peut conduire à de la soumission, de l’arrogance, de la colère ou de l’agressivité. Ce sont en général de mauvais amis pour réussir à faire des compromis et trouver des solutions communes. Avant l’entretien, il est important de se concentrer sur les points factuels à présenter et les solutions à suggérer. Le fait de venir avec des solutions renforcera votre assurance et votre volonté de poursuivre à construire ensemble. Je n’ai volontairement pas dit “défendre”, car cela place déjà la personne dans une démarche d’attaque. Votre conviction dans les faits vous conduira à adopter un axe de tête droit. Un axe descendant laissera dégager un signe de soumission ou un manque de confiance. Garder un contact visuel fluide et respectueux confortera l’envie de trouver une solution, tout en restant convaincu des idées présentées.

Un nouvel élément s’avère pertinent à valoriser dans cette situation. La proxémie est la distance physique entre deux interlocuteurs. Si celle-ci n’est pas respectée, elle peut affecter la relation. Dans le cadre d’un désaccord, la volonté de convaincre, la colère par rapport au contexte, peuvent amener à empiéter cette distance. Cela vaut pour deux personnes assises ou debout. D’où l’importance de rester vigilant sur un recul éventuel de l’interlocuteur afin d’adopter une distance appropriée.

Le silence est la plus belle des baguettes magiques quand il est bien dosé et qu’il intervient avec justesse et finesse.
Véronique Millet

Véronique Milletsynergologue

• Situation n°8: un entretien de recadrage

Quels gestes peuvent aider à faire passer un message ferme sans créer un malaise ou une résistance excessive?

«Je dis souvent: “Pour être convaincant, il faut être convaincu.” Votre conviction dans le message à faire passer est essentielle. Elle va induire l’assurance dont vous avez besoin pour ne pas ouvrir une brèche liée au doute ou de susciter une opposition trop forte. L’objectif d’un entretien de recadrage est d’instaurer une communication constructive plutôt que d’engager une confrontation.

Votre assise bien ancrée dans le fauteuil, les deux pieds au sol, un corps droit renvoient une image de maîtrise et de sérieux sans agressivité. Quelques exercices de respiration en amont seront les bienvenus pour mieux maîtriser sa voix, centrée sur une intonation basse et un débit mesuré. Le positionnement des mains sur la table associé à des gestes ouverts et fermes renforceront votre assise. À titre d’exemple, pointer du doigt pourrait être perçu comme agressif ou accusateur et générer ainsi une réaction inappropriée, comme un mutisme et de la colère. Il y a également un outil avec lequel je joue beaucoup pour capter l’attention, donner de la force au message. Je veux parler de la puissance du silence. Dans cette situation, le silence invitera le candidat à approfondir ses réponses, à faire ressortir un point à mettre en évidence. Le silence est la plus belle des baguettes magiques quand il est bien dosé et qu’il intervient avec justesse et finesse.  

• Situation n°9: un discours en public ou devant les équipes

Comment éviter les tics gestuels qui trahissent du stress ou un manque dassurance?

«Lutter contre nos émotions est un combat inutile. Souvent le stress lié à la prise de parole en public ou devant une équipe est issu de nos pensées limitantes, nos fausses croyances, notre niveau d’exigence et notre manque de confiance. Avant le moment fatidique, on invente le futur: “Tu ne vas pas y arriver”, “Que vont penser les autres de toi”, “Que va-t-il se passer si j’oublie mes idées?”, “Est-ce que je serai parfait?”. Cette dernière question est le premier point que j’aborde lors d’un accompagnement. Et je donne la réponse dans la foulée: “Non, vous ne serez pas parfait. Vous ne saurez pas ce que les autres pensent de vous. Ce n’est d’ailleurs pas l’objet de votre prise de parole. Vous pourrez avoir des blancs, des pertes de mémoire… Bref, tout vous est permis.” Ces mots servent à penser autrement pour se concentrer sur le plaisir de cette prise de parole, se questionner sur comment donner du rythme, captiver son auditoire. Cette façon de penser autrement va faire sauter les tics gestuels.

Dernier conseil, lié au théâtre: visualisez ce stress en imaginant que celui-ci est représenté par deux blocs de béton qui vous ancrent dans le sol. Cela vous donnera de l’assurance. Il vous restera tout le reste du corps pour l’expressivité de votre prise de parole.

• Situation n°10: l’écoute dun collaborateur en difficulté

Quels signaux corporels adopter pour exprimer une réelle empathie et éviter une posture qui pourrait être perçue comme condescendante ou désintéressée?

«Comme je l’ai déjà dit, votre état d’être va induire votre expression corporelle. Votre sincérité dans la volonté d’aider l’autre est essentielle pour créer du lien et susciter un retour positif. En synergologie, nous avons une lecture positionnant les gestes côté cœur, sur la gauche, et ceux concernant l’autre, le travail, l’extérieur, placés côté droit.

Tout ce qui nous touche, nous concerne, ce qu’on aime nous induit à montrer notre côté gauche du visage. C’est très facile à comprendre lorsque l’on s’intéresse aux gestes de séduction. Pour montrer de l’empathie, nous allons vouloir créer du lien avec l’autre et montrer de façon mi-consciente la partie gauche de notre visage. Amusez-vous à regarder Mona Lisa ou tout autre portrait dans les musées, et regardez l’axe de tête de chacun d’eux. Cet axe gauche pourra être renforcé par un léger mouvement rotatif orienté vers la droite. Ce lien ainsi créé sera une invitation à montrer au candidat notre volonté de l’écouter, de le comprendre et de le faire parler pour trouver une solution. En observant son axe de tête, vous aurez des informations susceptibles de vous guider dans sa capacité à se livrer ou non.»