À l’heure de la transition énergétique, au Luxembourg environ 1.700 artisans font défaut pour mener à bien cette mission. (Photo: Shutterstock)

À l’heure de la transition énergétique, au Luxembourg environ 1.700 artisans font défaut pour mener à bien cette mission. (Photo: Shutterstock)

Alors que l’actuelle crise énergétique a fait prendre conscience de l’obsolescence des énergies fossiles et des risques liés à la dépendance énergétique, la volonté d’une transition rapide vers les énergies vertes se heurte à un manque d’artisans qualifiés au Luxembourg.

Le changement climatique et la crise énergétique ont mis en évidence la lenteur à remplacer les infrastructures existantes. Mais ce n’est pas tout: la forte demande de technologies durables telles que les panneaux solaires et les pompes à chaleur peine à trouver un écho dans le vivier d’artisans du Luxembourg.

«Nous avons observé une tendance selon laquelle le secteur de la construction a le plus grand besoin de main-d’œuvre», explique à Delano le directeur de la Chambre des métiers et de l’artisanat, . Au cours du deuxième trimestre 2022, celle-ci a interrogé les entreprises pour savoir, entre autres, de combien de travailleurs elles avaient besoin. Environ 44% des entreprises artisanales luxembourgeoises ont répondu à l’appel, et 70% d’entre elles ont confirmé un manque de personnel.

En extrapolant les résultats de l’étude, la Chambre des métiers a constaté que le Grand-Duché devrait trouver environ 1.700 travailleurs qualifiés dans les douze prochains mois pour rattraper la demande des clients.

Suppression de services, refus de demandes

La pénurie de personnel est déjà visible sur le terrain. Trouver un spécialiste capable d’installer une pompe à chaleur ou des panneaux solaires, est un défi en soi.  «Nous avons arrêté d’installer des pompes à chaleur. Nous n’avons pas les bons spécialistes pour cela au Luxembourg et nous avons des problèmes d’accès aux matériaux nécessaires, donc nous avons décidé d’abandonner ce service», explique BKI, une entreprise franco-luxembourgeoise.

«Il est difficile de trouver des personnes qualifiées et c’est le cas pour tout le secteur de la construction», explique le porte-parole de BKI. Ainsi, en raison de la pénurie de personnel et de la difficulté d’accès aux matériaux, il faut parfois huit mois pour réaliser un contrat qui, auparavant, aurait pris six mois.

L’augmentation du nombre de demandes – liée aux subventions gouvernementales encourageantes – est également un facteur contributif. «Nous recevons entre 5 et 10 demandes par jour, mais cela s’est calmé maintenant que les gens attendent l’entrée en vigueur des réductions de TVA», explique BKI. Mais l’entreprise anticipe déjà un boom des demandes, et compte sur des accords informels pour mieux les gérer.

Améliorer l’image des métiers

Le système éducatif et l’opinion générale sur les métiers de l’artisanat sont,  pour certaines des personnes interrogées, à mettre en cause dans le cadre de cette pénurie de bras. «Il y a un désintérêt pour ce type de métier, nous n’avons personne pour nous remplacer après notre départ en retraite», explique un artisan.

L’image qui colle à l’éducation manuelle n’est pas non plus améliorée par certaines décisions prises par le système éducatif. «Il ne faut pas qu’une personne soit envoyée en apprentissage parce qu’elle est mauvaise en maths, dit Tom Wirion. Les placer là par défaut ou par échec ne peut pas fonctionner. Il faut regarder les adolescents dans leur globalité, et pas seulement à travers leurs échecs. Au cours des 60 dernières années, cette sélection de critères ne s’est pas améliorée.»

On ne peut pas envoyer une personne faire un apprentissage parce qu’elle est mauvaise en maths.
Tom Wirion

Tom Wiriondirecteur généralChambre des métiers et de l’artisanat

L’idée que ces emplois sont moins bien payés est également erronée, affirme le directeur de la Chambre des métiers et de l’artisanat. Au contraire, en plus d’une rémunération équitable, ces carrières peuvent donner le sentiment de contribuer au bien commun et à la transition énergétique. Mais peut-être que la pénurie actuelle de main-d’œuvre dans le secteur des métiers n’est pas si grave que cela, estime-t-il.

Tom Wirion poursuit: «La situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons est une opportunité pour l’ensemble du secteur artisanal. Car la transition écologique ne fonctionne que s’il y a des artisans. Si on comprend que c’est là que ça se passe, en termes de techniques, d’innovation… il y a une chance pour nous que la perception dans l’esprit du grand public change, et qu’une plus grande valorisation de l’apprentissage manuel s’ensuive.»

Conserver le personnel, en attirer davantage à court terme

Changer la perception des étudiants et de leurs parents pourrait bien être bénéfique au secteur sur le long terme, mais qu’en est-il de la pénurie de 1.700 hommes enregistrée pour les douze prochains mois? «La rétention de la main-d’œuvre est également cruciale pour la préservation de notre qualité de vie et de notre confort dans ce pays», déclare Tom Wirion. Il constate que de nombreuses entreprises artisanales au Luxembourg ne semblent pas avoir de stratégie de rétention des talents. C’est pourquoi la chambre organisera une journée d’ateliers autour de ce thème

La rétention de la main-d’œuvre est également cruciale pour la préservation de notre qualité de vie et de notre confort dans ce pays.
Tom Wirion

Tom Wiriondirecteur généralChambre des métiers et de l’artisanat

Une autre solution serait d’ouvrir le marché du Grand-Duché aux citoyens de pays tiers. «Vous ne trouverez pas ces 1.700 travailleurs au seul Luxembourg. Nous le disons depuis quelques années – sans résultat – les critères d’accès au marché du travail doivent être simplifiés pour les ressortissants de pays tiers. Cela signifie que pour les emplois qui connaissent une pénurie de personnel, le système doit être facilité», affirme le directeur de la Chambre des métiers et de l’artisanat,

Des pistes pour y parvenir avaient été publiées par la chambre en 2019, mais rien n’en est sorti.

Enfin, perfectionner le personnel non qualifié pour en faire les artisans de demain peut aussi fonctionner. «Nous avons besoin de deux profils à l’heure actuelle: les travailleurs qualifiés et les travailleurs non qualifiés. Non qualifiés ne signifie pas non plus qu’ils resteront toujours comme ça. Certaines entreprises ont commencé à embaucher des personnes non qualifiées, mais très motivées pour les former», partage Tom Wirion.

Adapter le changement à la réalité

Bien qu’une transition vers des énergies durables soit nécessaire et qu’elle doive avoir lieu le plus tôt possible, il faut également tenir compte des circonstances. En effet, comme l’ont mentionné plusieurs entrepreneurs interrogés par Delano, et comme l’a exprimé Tom Wirion: «les pompes à chaleur ne sont pas adaptées à chaque logement. C’est sûrement une option pour les personnes dont la maison est plus équipée pour cela, mais pour les vieilles maisons… ce n’est pas vraiment applicable.»

Pour ce dernier, l’ultimatum – pompes à chaleur et panneaux solaires ou rien – doit être mis de côté pour une approche plus nuancée. «Les entreprises perdent beaucoup de temps à communiquer cela aux gens». Au lieu de cela, dit-il, les personnes qui sont désireuses de faire la transition, mais dont la maison n’est pas aussi efficace, devraient d’abord chercher à améliorer leur isolation.

Cet article a été rédigé par  en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.