La situation de surendettement des pays industrialisés s’aggrave dans le contexte de la crise du Covid. Guy Wagner, Managing Director de la BLI – Banque de Luxembourg Investments, ne voit pas d’autre issue qu’un retour à davantage de discipline budgétaire.

Monsieur Wagner, la crise exceptionnelle que nous vivons a poussé les États à prendre un certain nombre de mesures, qui se chiffrent déjà à plusieurs milliards de dollars. Peuvent-ils encore faire davantage?

«On peut en effet toujours se poser la question de savoir comment les États financent leurs dépenses. Ils n’ont généralement que deux options: le faire au travers des recettes, essentiellement fiscales, ou bien en passant par la dette. Et contrairement au commun des mortels, ils ont de multiples possibilités de la faire augmenter. À commencer par l’émission d’emprunts que les fonds de pension ou les compagnies d’assurances achètent ensuite.

La période de taux bas que l’on connaît actuellement incite-t-elle justement à faire appel à ces emprunts?

«Forcément, mais le raisonnement de se dire que tout est faisable en période de taux bas est dangereux. Le coût de financement des États est en effet très faible, voire négatif, et de plus en plus de monde se demande pourquoi les États n’en profitent pas pour dépenser encore plus.

Il y a deux réponses à cela: en premier lieu, il est probable que les taux ne resteront pas aussi bas tout le temps. Si on s’endette maintenant et que les taux remontent ensuite, le coût du service de la dette accaparera une partie de plus en plus importante des recettes fiscales. C’est donc dangereux.

Par ailleurs, l’épargne privée n’est pas illimitée. Plus un État s’endettera, moins l’argent sera là pour ensuite financer le secteur privé.

Cela veut dire qu’ils ne disposent pas d’une grande marge de manœuvre?

«En temps normal, cette marge de manœuvre serait illimitée. Mais il y a encore les banques centrales, dont il faut tenir compte. Si, comme certains le préconisent, les banques centrales achètent directement les emprunts que les États émettent, il n’y aurait, en théorie, pas besoin de faire appel à l’épargne privée. Mais cette théorie est dangereuse, et ce mécanisme a eu des conséquences désastreuses par le passé, comme en Allemagne, dans les années 20, ou plus tard, en Amérique latine ou en Afrique.

Ce n’est pas pour rien qu’on a toujours veillé à l’indépendance des banques centrales et interdit de leur permettre d’acheter directement des dettes publiques.

L’autre rôle qu’ont joué les banques centrales depuis un an, c’est le soutien d’une politique monétaire expansive, s’appuyant sur ces taux d’intérêt très bas. Cela a plutôt contribué à mener à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, plutôt qu’à la résoudre.

Le grand problème du système financier mondial réside dans le poids toujours plus important du surendettement. Quelles pourraient être les solutions pour sortir de cette situation?

«Il n’y a malheureusement pas de solution miracle. Certains préconisent une idée qui peut paraître intéressante sur le papier: celle de laisser les banques centrales assumer certaines de ces dettes publiques, puis de renoncer à ces créances. Cela peut ressembler à un tour de magie, mais puisque les banques centrales appartiennent aussi au secteur public, une telle annulation serait neutre pour le secteur privé, étant donné que ce seraient alors les banques centrales qui assumeraient cette perte. La seule conséquence serait alors que leurs fonds propres deviendraient largement négatifs, mais beaucoup disent que ce n’est pas si grave que ça.

Ça a l’air si simple, sur le papier…

«Oui, mais il y aurait tout de même pas mal de difficultés à la mettre en pratique, et il faudrait que cela ne soit fait qu’une seule fois et qu’il y ait la mise en place de vrais garde-fous pour empêcher les États de s’endetter de nouveau par la suite. Cela n’a jamais vraiment fonctionné jusqu’alors.

Et puis, pourquoi s’arrêter là? Pourquoi ne pas imaginer que les banques centrales rachètent encore plus de dettes publiques, via les marchés, pour en avoir ensuite encore plus à annuler? Mais cela ne résoudrait en rien le problème du surendettement dans le secteur privé.

La façon la plus agréable d’y faire face est de s’appuyer sur la croissance. Mais comme le surendettement pèse sur cette croissance, on est dans un cercle vicieux.

Cela signifie-t-il que les sacro-saints critères de convergence et de stabilité du traité de Maastricht sont désormais caducs?

«La grande différence par rapport à la dernière grave crise économique, c’est en effet que la plupart des États, notamment européens, insistaient sur la rigueur budgétaire en même temps qu’ils menaient une politique monétaire extrêmement expansive. Aujourd’hui, cette rigueur budgétaire commence à être vue comme quelque chose de négatif. On dit au contraire qu’avec une situation de taux nuls, voire négatifs, il n’y a plus grand-chose à faire au niveau monétaire, et que c’est à la politique budgétaire et fiscale de prendre la relève et de permettre aux États de dépenser.

L’abandon de cette rigueur budgétaire est certainement l’une des grandes leçons à tirer de cette situation. Ce qui, à moyen terme, est très dangereux.

Sans compter le risque inflationniste, qui reste présent…

«À moyen terme, certainement, car, à court terme, la crise que l’on vit est plutôt déflationniste. Mais à plus longue échéance, il y a en effet plusieurs niveaux de risques inflationnistes. Le premier est le mouvement d’antimondialisation auquel on est en train d’assister, avec un retour à une volonté de se baser sur des chaînes de production ou d’approvisionnement locales. La globalisation avait des effets très déflationnistes; l’antiglobalisation a clairement tendance à être davantage inflationniste.

À cela s’ajoute le fait que les dépenses budgétaires quasi illimitées, financées par ce que l’on appelle ‘la planche à billets’, ont également des tendances très inflationnistes à moyen terme.

Quelles seraient, dans l’ordre, les bonnes mesures à mettre en place dans l’immédiat   ?

«C’est difficile à dire! Le problème commence évidemment avec le surendettement: actuellement, les pays membres du G7 cumulent une dette publique qui représente 140% de leur PIB, ce qui est un niveau historiquement élevé, surtout que n’y sont pas incluses des dépenses liées à la démographie et aux systèmes de pension…

La solution de dire qu’on supprime la dette publique ne pourrait fonctionner que si elle est parfaitement bien orchestrée, mais il faudrait pour cela avoir des garanties qu’une telle situation de surendettement ne se reproduise plus, et que les États, ensuite, s’engagent formellement à respecter la discipline budgétaire. Au vu de ce que l’on a vécu par le passé, il est difficile d’être optimiste à cet égard.»

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